Les Français ont désormais sous les yeux un paysage politique notablement clarifié. Trois propositions s’offrent à eux. Elles ont pour caractéristique commune la volonté d’une hyperprésence qui renouvellerait les traditionnelles approches d’alliance.
Ayant réussi l’examen de la séduction, Nicolas Sarkozy est obsédé par la volonté d’injecter des anesthésiants dans le corps malade de la gauche. Pour reprendre la désormais célèbre expression d’Edwin Plenel, l’hyperprésidentialisation veut s’assurer une stabilité dans le temps en récupérant les soldats frustrés d’une gauche fatiguée d’elle-même. Il n’est pas certain que la tactique réussisse tant les recrues sont déjà démonétisées dans l’esprit de la gauche mouvementiste. Je pense plus particulièrement à Bernard Kouchner et Eric Besson, Jean-Pierre Jouyet et Martin Hirsh, de par leur parcours, ne pouvant être rangés sous le même label opportuniste.
Cette sphère va s’élargir avec deux recrues annoncées de chaque côté, le pathétique Jack Lang et le clairvoyant Jacques Attali. Si Nicolas Sarkozy agit de la sorte, c’est qu’il connaît mieux que quiconque la versatilité de l’opinion publique en bon ex-balladurien borduré.
En ces temps nouveaux de consumérisme électoral, le temps des preuves suit de près celui de la séduction. L’hypnotisme sarkozyste est donc, de ce fait, soumis à la même épreuve des faits. Ce n’est plus la légitimité d’un succès électoral, si patent soit-il, qui assurera le prolongement de l’euphorie, mais celui de la légitimité des preuves (le prix du chariot dans les hypermarchés, l’anoblissement de la valeur travail, l’enrayement du descenseur social, le sentiment d’une sécurisation au sens large des conditions de vie, etc.).
Il faut être bouché à l’émeri pour ne pas comprendre que Nicolas Sarkozy gouverne avec une carte réactualisée, tous les matins, de l’état de l’opinion. Or, la politique est l’art de remonter les courants contraires, de secouer les acquis, de piétiner les consensus. Habile, animal, Nicolas Sarkozy n’ignore pas le rejet dont il fait l’objet dans une partie importante de l’opinion. Cet anti-sarkozysme est pour l’heure un volcan éteint. Mais, en bon géologue, Nicolas Sarkozy travaille sur les conséquences d’éruptions inévitables.
L’autre hyperprésence s’enracine autour de François Bayrou. Son « ninisme », sa volonté de sublimer un hypercentre a été couronnée de succès à l’élection présidentielle et Nicolas Sarkozy ne l’ignore pas. La création cynique du nouveau centre, l’énergie mise à réunir l’axe radical prouvent s’il en était besoin qu’il souhaite bloquer l’innervation du discours de François Bayrou mais cette ligne de Maginot ne tiendra pas à la première difficulté tant les Hervé Morin, Maurice Leroy et autre Jean-Michel Baylet apparaissent comme des opportunistes sans valeur aux yeux d’une opinion désireuse de rejeter ces arrangements mafieux.
François Bayrou a réussi une énorme performance, celle de s’inscrire dans une possibilité d’avenir. Il incarnerait presque la meilleure opposition actuelle, celle d’un dépassement vertueux. Une seule épreuve l’attend : le choix. Les sciences physiques peuvent être éclairantes pour juger de l’inscription dans le temps des offres politiques nouvelles. L’équilibre, par essence, est précaire puisqu’il se pose au centre de deux forces centrifuges dont les conditions de matérialité sont mouvantes.
Le tsunami sarkozyste déplace le centre actuel au centre gauche. C’est une loi physique dont j’ai cru comprendre, avec mon modeste bagage scientifique, que François Bayrou avait repéré le déplacement. Quand il déclare dans le journal télévisé de France 2 du 3 juin à 20h que le deuxième tour du Modem aux législatives creusera l’hypothèse d’un plus grand pluralisme à l’assemblée nationale, beaucoup traduisent que des accords nombreux et décisifs seront scellés avec le Parti socialiste pour éviter une monochromie monotone au Parlement.
D’ailleurs, la facilité avec laquelle beaucoup d’élus Vert, souvent compétents, ont rejoint le Modem, sanctionnant ainsi la dérive picrocholine du parti écologiste, laisse supposer que les abouchements seront possibles entre des candidats PS effrayés par l’atonie de Solferino et un Modem très suspicieux sur l’état de grâce sarkozyste.
Enfin, la dernière hyperprésence, qui n’a rien du discours de la méthode Coué, et ça aussi, Nicolas Sarkozy le sait, est incarnée par le PS ségolisé. Dans les joutes classiques, le perdant est invité à traverser le désert pour ressourcer le discours. Or, n’en déplaisent à ceux qui la trouvent nunuche, Ségolène Royal a réussi la performance qu’un stratège comme Sarkozy ne peut qu’apprécier de faire porter la responsabilité de sa défaite aux pachydermiques dysfonctionnements du Parti socialiste.
Avec une foi d’airain, en intuitive née, habitée par une force mentale bien au-dessus de la moyenne, Ségolène Royal croit en son étoile et rien ne pourra la faire dévier de cette certitude. Comme si elle avait analysé les raisons de son échec : l’absence de profilage du discours, l’absence de mots, de syllogismes forts. Dire, c’est agir, rappellent les linguistes. Royal a perdu la bataille des mots, pas celui de la rénovation sociétale du pays.
L’après législatives au PS s’apparentera à un été meurtrier. Il se murmure déjà que les puissantes fédérations, soucieuses de défendre leurs réserves foncières à l’approche des municipales et des cantonales de 2008, prendront l’initiative d’une plus grande clarification du projet socialiste pour ne plus être otages des chicaneries nationales.
Mais les baronnies locales ont le sens du concret et elles savent que Ségolène Royal est aujourd’hui incontournable. Le seul ségocompatible est aujourd’hui DSK qui devra faire preuve d’humilité pour accepter une telle destinée. Car Ségolène Royal a profité des flottements directionnels du PS pour imposer sa marque. Et, tel un outsider ayant pris une dizaine de minutes dans une étape de plaine aux favoris du Tour de France, elle a pris une considérable avance dont elle capitalise l’avantage : les groupies ségolisées, à forte dominante féministe et zone sensible urbaine, ne la lâcheront pas tant le lien relève d’un surprenant mysticisme.
Ces trois hyperprésences conditionneront les prochains rapports de forces. Du discours à la mise en œuvre, Nicolas Sarkozy ne pourra slalomer continûment entre les récifs de la réalité. Le temps fusionnel des bises sur le perron de l’Elysée et des mains dans le dos complices ne durera pas face à une opinion française aussi ductile, capable de refuser la Constitution européenne et de voter deux ans plus tard pour un de ses promoteurs.
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