Si Dieu existe, il s’ennuie ces dernières heures. Il vient de rappeler Serrault, Bergman et Antonioni en l’espace de vingt-quatre heures. Des petits bouts de mémoire arrachés du présent qui ont déjà tant fait pour donner à l’humanité des raisons de ne pas désespérer. Les pauvres humains qui restent en bas n’en ressentent pas d’amertume : la mort surcharge le champ de la vie. L’industrie se chargera de nous fournir des compilations nostalgiques. Et l’automne au coin du feu crépitera avec talent. C’est ce qui fait la différence entre les grands hommes et les anonymes : ils nous ont tellement aidé à contourner la peur de la mort que leur mort n’en devient qu’anecdotique. Le cinéma, c’est la vie que nous n’aurons pas. C’est l’indifférence au réel, ce qui en fait un art révolutionnaire. Si vivre, c’est apprendre à mourir, ces trois grands noms du cinéma sont des bienheureux.
Archive for the ‘Culture’ Category
Serrault, Bergman, Antonioni : les immortalisés ne meurent pas
Posted in Culture, Général on 31 juillet, 2007| Leave a Comment »
Daniel Schneidermann et Serge Moati zappés : dites non !
Posted in Culture, Général, Journalisme, Télévision on 19 juin, 2007| Leave a Comment »
Je découvre avec stupéfaction ce matin que l’émission de Daniel Schneidermann, « Arrêt sur image » sur France 5, s’arrêtera la saison prochaine. Et que, dans la foulée, « Ripostes » passerait aussi à la trappe (animé par Serge Moati).
Si cette double information devait se confirmer, il va de soi que tous les amoureux du débat, du décryptage, de la polémique, du vertige réparateur de la confrontation, bref, de cette liberté hugolienne, de ce sel voltairien, où droite et gauche, centre, milieu, extrêmes, fachos, beaufs, noirs, blancs, rouges, cons, pas cons (nous sommes tous les cons de quelqu’un d’autre) qui se retrouvent à un moment précis sur une même unité de temps pour échanger leurs certitudes, confronter leurs erreurs, s’enferrer ou se dédouaner, se sauver ou s’entêter, à partir des faits, de la vérité introuvable, etc., oui, il va de soi que nous ne devons pas laisser passer cela. Je ne sais pas comment.
En organisant des Grenelle ou des Etats généraux de la liberté de la presse, en manifestant dans la rue, en pétitionnant à gogo, etc. Je ferai la même chose si Skyrock, de la même manière, était menacé de fermeture alors que je trouve cette radio de « d’jeuns » profondément débilitante (mais ne l’étais-je pas à quinze ans lorsque j’agitais ma crinière calamistrée devant les gonzesses à la peau abricotée pour en extraire le suc).
Cher Daniel, cher Serge (excusez cette familiarité), je suis partant pour dire tout simplement « non » à ce qui ressemble, mine de rien, à une première réplique de l’enrégimentement sarkozyste de la liberté d’expression.
Il faudra que les Pdg du service public rendent des comptes à leurs abonnés civiques sur cette décision qu’un Hugo Chavez n’aurait pas renié. Ah, certes, en France, on sait mettre du bolduc autour des truanderies les plus cyniques. Ah, certes, le Hugo Chavez a trop la grinta d’un révolutionnaire en chambre pour ne pas profiter de l’occasion pour décocher quelques formules clownesques qui le rendent pathétiques. Mais en France, les meurtres se font dans les salons feutrés de la République tentaculaire. Osons ne pas accepter l’inacceptable.
Je ne suis ni un baba béat ni un Schneidermannôlatre ou un Moatiste chauvin. En tant que journaliste, je dis Ya Basta (tiens, ça me rappelle ma jeunesse…), je me dis que le décrochage entre la réalité vraie (pléonasme de circonstance, quand la réalité est distordue, il faut la renommer en édictant la charte de son évidence) et le reflet dans les médias prend une tournure anamorphique très dangereuse. Daniel, Serge, on s’appelle, on grogne, on réagit. Et vite.
Pour signer la pétition : http://arret-sur-images.heraut.eu/
Le diable s’habille en Jacques Vergès
Posted in Culture, Général, Justice on 8 juin, 2007| 1 Comment »
L’homme porte en lui une vieille blessure d’enfance. Un regard trop vite désabusé sur le monde tel qu’il est, « colonisé » dans sa tête par les manifestations les plus vulgaires des humiliations impériales, si néanderthaliennes dans la forme qu’elles paraissent appartenir à un lointain patrimoine historique.
« Les gens s’écartaient à notre passage parce que nous étions blancs », rappelle Jacques Vergès. Enfance indochinoise, adolescence marxisante, dillettantisme fildefériste portant une soif égotiste inextinguible, Vergès est devenu avocat pour satisfaire son besoin de cogner dans le bide renflé des conformismes, sa faim de provocation dans un monde normatif qu’il tient en haine.
Barbet Schroeder pénètre ce mystère sans a priori, sans hagiographie, sans didactisme. La force de ce documentaire-fiction réside justement dans le parti pris d’une exploration qui, tout en gardant à distance la munificence du personnage, remonte aux sources d’une colère que rien n’apaise.
On sent très vite que Vergès n’est pas un penseur au sens où l’on peut l’entendre classiquement, au sens sartrien du terme. Chez lui, l’hypersensibilité, doublée d’un romantisme révolutionnaire de salpêtre, conditionne l’engagement. Il aime la femme et l’homme debout, l’homme révolté, l’homme qui ne ploie pas. S’il s’aveugle, c’est en conscience. A cécité, cécité et demie.
Le réalisateur raffole de ces contrebalancements, de ces contrepieds, de cette esthétique ébouriffante ramenant toujours le monde au cœur de ses contradictions, par le biais de formules cyniques, où la violence terroriste n’est jamais condamnée puisqu’elle s’origine dans l’écrasement humiliant des peuples. Vergès n’est pas seulement l’avocat de la terreur, il est celui d’une amoralité universelle qui lui préexistait, celui d’une violence spectaculaire qui répond avec les moyens du bord à la violence institutionnelle des Etats qui, au nom de la raison, laissent les peuples aux mains de l’arbitraire.
Pour lui, Hitler ou Bush, c’est du pareil au même. S’il avait défendu Hitler, il aurait accusé le monde d’avoir humilié le peuple allemand après la première guerre mondiale. S’il défend un jour Bush, il pointera un doigt accusateur sur un libéralisme dévoyé, échevelé, où les grandes entreprises ont oublié qu’elles avaient un rôle majeur à jouer dans la marche en avant de l’émancipation des peuples.
Vergès, c’est ce gros cigare cubain sur lequel il tire avec le plaisir goulu d’un hédoniste ; c’est cette petite cabane discrète dans les territoires des Khmers rouges où sa présence tutélaire hante les lieux ; c’est l’Algérie dont il accompagna la marche vers l’indépendance avec un enthousiasme vite douché par les lendemains révolutionnaires, éternellement décevant. Vergès ne croit en rien.
Il n’a que le cynisme brillant de ses colères pour accuser le monde d’avoir enfanté dans le sang ses pires utopies. Barbet Schroeder montre bien le cheminement de ce nihilisme porteur de brio. L’idée d’être seul contre tous lui donne des ailes. Ce donquichottisme aigri prend parfois des allures révoltantes. Les corps meurtris des victimes des attentats, pour l’avocat des causes indéfendables, appartiennent à l’internationale de ces innocents, blancs, noirs, jaunes, etc., dont l’éternelle lutte entre les puissants et les rebelles de la misère allonge la liste. Le film est dérangeant, donc brillant.
Sans voix off, sans externalisation du jugement. Comme toujours, Barbet Schroeder laisse le soin au spectateur de se faire son opinion. Et la qualité du film réside peut-être dans cette suspension du jugement : la question de savoir qui est Jacques Vergès reste sans réponse, conserve jalousement son mystère. Seule la morale de l’histoire en ressort éreintée, morale kaléidoscopique, dont chacun défend son bout de gras.
Il faut aller voir ce film, rapidement. Ne serait-ce pour savoir de quel bout de gras vous ferez cuire votre soupe utopique pour les prochaines années.