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Archive for avril 2007

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Cher ami,

Toi qui vit en Afrique, qui ressent au quotidien les effets du hachoir libéral, qui sait les conséquences crues de l’organisation du commerce international, tu me demandes de te donner mon sentiment sur l’élection présidentielle. Je ne suis pas un expert mais cela tombe plutôt bien : la mode est à la démagogie anti-expertise, l’expertise étant accusée de ne fournir qu’une vision tronquée des faits, in-humaines (j’insiste sur la césure).

Le grand frisson démocratique, de ce côté-là de la Méditerranée, c’est de sonder cette zone grise entre les faits, dont la scientificité est toujours plus remise en cause, et le ressenti d’en bas. L’exercice comporte de grands avantages et de réels risques : à force de nier la réalité (je viens de lire une étude sérieuse attestant que les aides publiques accordées aux entreprises du Cac 40 sont minimes et que les aides en question soutiennent déjà, abondamment, les petites et moyennes entreprises), on se détourne de la nécessité d’œuvrer avec pédagogie envers les citoyens. La nourriture pédagogique est une diététique démocratique : controuver la réalité encourage toutes les transgressions radicales.

La France est un pays habité par une foi révolutionnaire. Elle goûte peu aux discours sur la méritocratie et considère que les laissés-pour-compte ne seront jamais comptables de leur décrochage. Rien à voir avec l’état d’esprit anglo-saxon où les bonnes statistiques économiques masquent généralement les deltas vertigineux entre les revenus des uns ou des autres. La France n’épousera jamais les contours libéraux du marche ou crève bushien. La France ne sera jamais complètement fascinée par le modèle blairiste. Et les quelques décimales de croissance que nous perdons dans les confrontations dialectiques sur le modèle social s’arriment à ce patrimoine révolutionnaire : en France, le discours sur les inégalités ne fait jamais l’objet d’un solde pour tout compte.

De loin, ce pays peut paraître ployer sous de pondéreux paradoxes. Il dit non au référendum et s’apprête à élire pour le candidat le plus libéral sur la gamme des propositions d’avenir. A l’analyse, cette attitude relève de la logique : Sarkozy a instillé un peu de bushisme protectionniste dans son propos. Lorsqu’il indique que la Slovénie a purement et simplement supprimé l’impôt sur les sociétés (la Slovénie est un des 27 membres de l’Union européenne), il précise que Bruxelles n’est plus crédible pour venir lui chercher des poux dans sa volonté de disposer d’une certaine latitude fiscale (notamment sur la réduction de la TVA à 5,5 % sur les métiers de la restauration et de l’hôtellerie).

Bref, ce libéralisme qui effraie tant la France de gauche conserve une liaison forte avec la France qui se lève tôt, en flattant sa valeur et en laissant supposer que l’autre France, qui se couche tard, est irresponsable. Dans chaque corpus idéologique, il y a une petite porte d’entrée pour chacun. Mais ici, chaque débat est à examiner sous toutes les coutures. En tant que journaliste, j’ai eu le plaisir de discuter avec Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Il y a quelques semaines, ce dernier redoutait que la campagne électorale hexagonale ne tourne à la stigmatisation des assistés.

Le phénomène ne s’est pas produit, fort heureusement. Car, là aussi, la réalité n’est pas aussi simpliste que le débat aimerait le poser : les resquilleurs de l’Etat providence ne sont pas aussi nombreux que le café de commerce ne l’atteste… Pourquoi ? Parce que les Rmistes, pour ne prendre qu’eux, sont à 80 % demandeurs d’une activité professionnelle, même si cette dernière ne leur permet d’atteindre le même niveau de « rémunération artificielle » que celui atteint par les nombreuses aides publiques.

La France est un pays extraordinaire de 64 millions d’habitants qui croit romantiquement aux vertus du consensus. Ce dépassement consensuel est porté par François Bayrou. La culture de la confrontation idéologique a enkysté le pays. Il lui manque de l’huile entre les rouages. On peut multiplier les exemples. Deux mondes se haïssent profondément : celui de la formation professionnelle et de l’éducation nationale. Le premier loue la recherche d’une plus juste adéquation entre les besoins du monde du travail et les formations adaptées ; l’autre considère que cet adéquationnisme comporte des risques de pervertissement (le temps de la mise en place de la dite adéquation étant trop long par rapport aux mutations réclamées par le monde du travail).

Dans ce contexte est apparu un ovni : Ségolène Royal. Gagnera-t-elle ? Les sondages disent que non. Mais cette femme étonnante, accusée de tous les maux, parfois maladroite, a un réel don intuitif. En l’espace de deux ans (2005-2007), elle a ringardisé le Parti socialiste, lieu de synthèses improbables, où la mauvaise foi la dispute à l’irréalisme mal feint. Tous les sondages, qualitatifs ou quantitatifs, la placent généralement derrière Nicolas Sarkozy, animal politique, déroulant des argumentaires fortement empathiques.

Que dit-elle ? La France a des ressources, la France est en quête d’équilibres, la France a besoin d’apaisement. Tout le monde gagnera (donnant-donnant) et si un seul groupe social perd, c’est tout le monde qui sera entraîné vers le bas. Un joyau harmonique que Sarkozy n’a pas encore perçu et qui risque de lui péter à la gueule (mille excuses pour l’expression triviale) au soir de son débat avec Ségolène.

Nicolas Sarkozy souffre d’un complexe de supériorité : il ne doute pas, c’est ce qui fait sa force. Mais cette trop belle assurance est anxiogène. Pis encore : elle le déshumanise. Sa force de frappe dialectique emprunte au détail (la petite fille du gendarme tué qui lui demande de sortir son papa de la boîte, fait éminemment triste, dont il laisse entendre qu’avec lui, ministre de l’Intérieur au moment où le gendarme en question est scandaleusement entré dans la boîte, il n’y aura plus de moments de tristesse aussi forts). C’est l’art du sophisme : tirer toujours profit des situations les plus périlleuses, ne jamais céder à l’autocritique, laisser toujours entendre que ce que l’on a fait échappe à ce que l’on est.

Enfin, sommet de la démarche sophistique, décrédibiliser l’adversaire, aller chercher la contradiction, la mettre en scène avec d’autant plus de facilité que l’on a réussi, dans l’esprit des gens, à s’exonérer d’un bilan que l’on a construit. « Rupture », dit Sarkozy. « Rupture » avec lui-même. Mais « rupture » sans autocritique, donc profonde et inquiétante pathologie mentale. Oui, je le concède, par honnêteté intellectuelle, il y a une fureur de diabolisation dans le camp d’en face. Mais Sarkozy gère mal cette entreprise. Il la nie, paraît plus clair dans la formulation d’éléments de programme, mais il ne peut se sortir des griffes de la contradiction sans griffer plus fort encore. Il ne refuse jamais le combat à mains nues. Il aime saigner et faire saigner. Il aime la bagarre.

Et au final, malgré lui, le verdict du deuxième tour se jouera sur un élément qu’il ne soupçonnait pas aussi prégnant : l’humanité de la future présidence de la République. La part de caricature que l’on brosse de lui, excessive comme toutes les caricatures, il y rentre dedans, comme un éléphant, si j’ose dire, dans un magasin de porcelaine.

Ségolène Royal aussi est caricaturée : incompétente, manque de carrure… Mais dans cette guerre des défauts, que choisiront les Français ? Le doute ou la certitude, le risque ou l’assurance, le participatif ou l’unilatéralité ? Ainsi va la France : elle préfèrera toujours les défauts de l’humanité aux certitudes du libéralisme ; elle voudra toujours croire à un monde meilleur qu’à un monde adapté aux circonstances d’une globalisation qu’elle ne supporte pas de maîtriser ; elle ne comprendra jamais les 8 millions d’euros de Forgeard, les nouvelles règles économiques ; elle sera toujours moquée pour sa balourdise économique et elle accompagnera toujours ses enfants dans le délicieux TGV qui les mènera au-delà des mers, vers ce Londres boursier décomplexé, vers les paradis fiscaux éhontés, vers l’Amérique où les gagnants le méritent et les pauvres n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes.

La France n’a pas inventé par hasard la Révolution. Elle ne se satisfera jamais du monde comme il va. Elle s’indignera toujours face à l’indignité humaine. On dit qu’elle râle ; elle est lucide. On se moque d’elle parce qu’elle croit aux utopies concrètes. Elle ne se satisfait jamais d’échouer. Quand elle gagne, elle veut gagner pour tous. C’est une rêveuse, dans un monde sans pitié pour les rêveurs. Vieux pays, interpellé de toutes parts par ceux qui ont cru en lui.

Voilà, cher ami, ma vision de cette France. En fait, cette France n’ose pas dire à quel point elle s’aime. Parce qu’elle est multiple. Parce que le sentiment amoureux est complexe. Haine et répulsion. Après avoir dit non à la soumission du pays, De Gaulle traitait les Français de « veaux ». Il a risqué sa vie pour un pays de « veaux ». C’est ça la France, cher ami, une épopée romantique…

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Depuis que j’ai obtenu la brillantissime note de 3 sur 20 en math au bac (il est vrai littéraire), je ne me hasarde plus aux projections arithmétiques. Mais une légère incongruité comptable me dérange : à écouter les estimations de report de voix venues de tous les battus du premier tour, le boulevard chiffré annoncé à Sarkozy ne me paraît pas aussi largement ouvert. Et sur mon boulier personnel, le score pressenti s’apparente plutôt au 51-49 annoncé par un institut qu’aux 54-46 martelés par les autres.

Je crois que le coeur de l’électorat de Bayrou penche plus fortement qu’on ne le croit à gauche. Dans le cas contraire, le Béarnais n’aurait pas obtenu un score aussi élevé. Ce qui est étonnant dans cette élection, c’est le rejet de plus en plus fort que provoque Nicolas Sarkozy, pourtant archi-favori. Une seule question se pose donc : aurait-il fait le plein dès le 22 avril ? Aurait-il gonflé au maximum la voilure de l’UMP ? A-t-il finalement moins de réserve qu’il ne l’imagine ?

Je désespère de croiser des personnes raisonnablement rassurées par le succès incontestable de Sarkozy, ces 11 millions d’électeurs qui doivent fourmiller dans les villes ? Où sont-ils ? Où se cachent-ils ? Allez, je mouille le doigt : je pense que si Sarkozy l’emporte, ce sera d’une courte tête…

Je pense que les zélateurs bayrouistes en ont marre des coups de menton comminatoires des portes-flingues de l’UMP qui intimident dans les régions les petits députés UDF ? Je pense que le seul moyen d’atteindre l’Elysée pour Bayrou aujourd’hui est de se démarquer rageusement d’un Sarkozy qui ne lui ressemble pas ! Je pense qu’il y a plus de points communs entre Bayrou et Royal, sur fond d’un delorisme enfin surplombant.

Je pense que la France a sa petite idée en tête. Le soir du premier tour, en sortant fumer une cigarette, je me suis donné une entorse de la cheville droite. Je m’appuie aujourd’hui sur la gauche. Un signe ? Tous mes potes m’ont dit : « c’est plié ! ».

Tous mes potes ont trouvé l’intervention de Melle de Ségolène un peu molle. Tout le monde a trouvé Sarko très pro. Tout le monde est allé chercher un sac plastique pour vomir en apercevant les factotum de France 2 lui tendre le micro dans sa belle bagnole.

Il y a comme une grande partie de la France qui ne veut pas de Sarko. Qui s’inquiète de ce profil instable, de cette animalité politique, de sa réthorique mensongère, de ses colères, de ses frustrations.

Il y a comme une grande partie de la France qui a très peur de lui confier les clés de la maison France pour cinq ans. Ressentez-vous cette peur ? Ce scepticisme ? Cette crainte indicible ?

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Nicolas Sarkozy serait-il le Garincha du politique ? Cette ancienne étoile du football brésilien avait l’habitude de dérouter ses adversaires par ses dribbles chaloupés. Et le président de la République semble lui avoir emprunté cette vista. Car le paysage politique français d’aujourd’hui présente un air étrange, presque surréelle. Et, connaissant mon Sarko sur le bout des doigts, je suis sûr que le festival ne fait que commencer. Bien sûr, nous ne sommes qu’au début du quinquennat, avec ce doux air euphorique légèrement trompeur. Mais je crois qu’une nouvelle époque s’annonce, que l’on pourrait nommer la diversité assumée, mais l’expression ne me plaît guère.

Je ne sais pas si le président a déjà commenté la réaction de Martin Hirsh au sujet de la franchise sur le remboursement des premiers soins. Martin Hirsh avait très fermement condamné cette initiative. Aujourd’hui, il confirme. Martin Hirsh ne rêve pas de prébendes. Ne fait pas de la politique pour l’alimentaire. Il veut aboutir à la mise en place révolutionnaire du Revenu de Solidarité Active, qui consistera à ce que chaque reprise d’emploi se solde par un surplus salarial pour les personnes confrontées aux minima sociaux. Il est allé voir Sarkozy. Et ce dernier lui a dit : « OK, on n’y va, on le fait ». Quand un journaliste courageux demandera au président ce qu’il pense de la réaction de Hirsh à la franchise médicale, le président dira à peu près la chose suivante : « Vous savez, Martin Hirsh est un homme remarquable. Je souhaite qu’il réussisse dans son action et je lui donnerai tous les moyens pour qu’il y parvienne. C’est un homme indépendant et je respecte ses convictions personnelles.

Au nom de quoi (ah, les fameux « au nom de quoi » de Sarko) le fait qu’un homme de gauche soit en désaccord sur certains points avec mon action m’empêcherait de trouver avec lui d’autres terrains d’entente ? Je vous le dis, Monsieur Hirsh ne sera pas déçu de son passage dans le gouvernement de François Fillon ». Je l’imite bien, hein ?

Amis de gauche, orphelins d’une gauche moderne, nous qui avons brocardé pendant des années « la droite la plus nulle du monde », pour ne pas dire autre chose, nous voilà confrontés aux mêmes reproches… Parce que l’ensorcellement sarkozyste touche tout le monde : j’écoutais Bernard Marris à Ripostes hier soir, économiste de renom, l’un des rares alter mondialistes qui ne ferait pas fuir un patron cinq minutes après le début de la conversation, face à Alain Juppé, ministre d’Etat. Hallucinant ! ! ! ! Il y avait une complicité ubuesque entre les deux hommes ! Comme si l’inconscient collectif de gauche trouvait dans une droite décomplexée des raisons de fascination. Et le rôle du vrai contradicteur revenait au chafouin Eric Zemmour, journaliste au… Figaro, et dont les interventions sont toujours pertinentes.

Et on peut multiplier les exemples : j’aurais aimé être une mouche pour voir la tête des responsables des associations environnementales à la réunion de préparation du Grenelle sur le sujet ! Rien, même pas une critique un peu poussive d’un vieux porte-parole maniant la langue de bois en ébéniste expert ! Ah si, j’exagère : il y a eu la réaction des Verts, accusant « le Grenelle de dupes ». Wouah, génial les gars, l’espoir renaît.

Et Emmanuelle Mignon, la directrice de cabinet du Président, qui tente au quotidien de débaucher les membres de la République des Idées, en leur faisant passer ce message : « Le Président ne pose aucune conditions à vos ralliements. Vos idées seront mises en œuvre ». On dirait le pays de Oui-Oui ou l’Ile aux Enfants de ma jeunesse.

Ouuuuuuuuuu la gauche ! Ouuuuuu… où es-tu ? Un ami me disait récemment qu’il ne comprenait pas la royalphilie, qu’il considérait Ségolène Royal comme la plus mauvaise candidate du PS depuis 1969 et les 5 % de Gaston Defferre !

Cher ami, je vais te dire pourquoi j’ai autant aimé Ségolène Royal et que je l’aime peut-être plus encore aujourd’hui : je me demande comment elle a pu mener une telle campagne dans un tel état de désolation programmatique, dans un tel état d’impéritie du PS. Depuis le lendemain du deuxième tour, c’est courage fuyons à tous les étages ! On annone de grandes théories sur la fin du cycle d’Epinay dont la France entière se fout (c’est où Epinay, c’est quoi ?). Pas un seul responsable courageux du PS qui se lève et qui dise : on va dans le mur, à toute allure et on mettra dix ans pour récupérer du crash. Mais qu’importe les gars, hein ? Sarko recrute essentiellement à gauche, à l’américaine, il pique les cerveaux que vous avez laisser pourrir dans vos concélébrations congressistes avec des macchabées de luxe : Michel Rocard, Jacques Delors, Olivier Duhamel… Trop has been, les grands hommes, trop honteusement sociaux-démocrates !

Finalement, le seul qui me fasse sourire aujourd’hui, c’est François Bayrou et ses acrobaties sidérantes et intenables sur ses 7 millions de fans qui vont fondre au soleil de la dure réalité de nos institutions. Cruelles institutions mais justes institutions car personne ne veut d’un retour à la IVè République et à ses majorités ingouvernables et inconsistantes ! S’il existe un vrai refondateur au PS, qu’il se lève et qu’il marche. Il ne risquera rien puisque le Parti socialiste n’est plus qu’une armée à la dérive.

Moi, je ne suis rien, qu’un dispensateur d’énervements, mais j’en ai marre de voir la droite récupérer un Martin Hirsh dont le seul rêve était de venir en aide aux pauvres dans un gouvernement de gauche. Mais la route est bouchée de ce côté-là. Il a pris l’itinéraire bis. Les bénéficiaires potentiels des solidarités actives qu’il aura su mettre en place ne lui en voudront pas.

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Je n’aime pas les anti-quelque chose. Un vieux reste sans doute d’éducation chrétienne qui tendrait à me persuader, face à chacun de mes semblables, même dans les situations les plus répugnantes, que chacun d’entre eux est prédisposé à la philia, l’amour de l’autre.

J’ai souvent été contredit par mes apriorismes, mes dégoûts intuitifs. Face à l’homme, il faut toujours travailler à éviter de révéler le pire de sa personnalité. Je n’ai goûté que très modérément le numéro de Marianne sur le dévoilement « scoopétique » de la personnalité de Sarkozy.

Journaliste, je n’aime pas ces journaux qui se laissent déborder par le style, où les menues infos sont montées en neige et retombent quand la trépidation rhétorique s’éloigne. Je n’achèterai pas plus Charlie Hebdo car l’outrance satyrique m’empêche de goûter à la saveur de la recherche de la vérité.

Je n’étais pas un anti-sarkozyste primaire. Après la lecture du portrait de Nicolas Sarkozy par Michel Onfray, dans son blog de L’Obs, je le suis devenu, aussi naturellement que l’on se rafraîchit la bouche d’une gomme de menthol après avoir vomi. Ce que dit Onfray des conditions dans lesquelles Sarkozy a tenté de l’intimider avant son entretien dans la revue Philosophie magazine où le masque de l’homme est tombé est tout simplement stupéfiant.

Que les ego surissent dans les sphères surdimensionnées du moi, que l’autosatisfaction abcède lorsque, tous les jours, autour de vous, des carpettes vous cirent le bon profil, qu’une dangereuse mythomanie vous gagne lorsque l’on vous convainc que vous avez été choisi pour accomplir une mission christique n’est pas une révélation monstrueuse sur le détachement pathologique qu’affichent ceux qui prétendent à la plus haute fonction de l’Etat.

Etre l’opérateur d’un Tout lorsque l’on n’est rien d’autre qu’un homme, vouloir sans pouvoir, peut déformer le sens de la réalité. Mais ce qui est plus inquiétant chez Sarkozy, ce n’est pas tant le marmitage d’humiliations qu’il déploie face à ceux qui le contredisent, qui ne comprennent pas l’impérieuse divinité de sa mission, mais sa souffrance. L’homme souffre à l’évidence d’un complexe de supériorité dont il ne tire au final qu’un bénéfice très limité.

Sarkozy a un défaut majeur en politique : sa vision binaire du monde. Pour lui, il y a le blanc et le noir, le Bien et le Mal et tout le reste, c’est-à-dire la majorité, n’est que l’espace de confrontations stériles des experts qui essaient de dénouer l’écheveau de ce qui dysfonctionne. Pour lui, la règle s’impose à tous et lorsqu’elle est foulée au pied, l’auteur du dérapage doit être sévèrement puni. Dans sa tête, le monde serait naturellement lumineux, les chômeurs seraient naturellement fainéants, les délinquants naturellement mauvais et s’il avait eu Jean-Jacques Rousseau en face de lui, il l’aurait laminé d’acidités.

Souffrirait-il de la sauvagerie de celui qui s’est construit seul et qui ne comprend pas que les autres n’aient pu le suivre ? Pour lui, Jaurès n’est pas ce grand homme politique qui accusa d’un doigt pointeur les dérives d’une économie inhumaine mais l’homme de l’autorité morale, supérieure, du travail. Il doit sincèrement aimer l’ouvrier qui ne rechigne pas à la tâche ; l’ouvrier rendu muet par l’hystérisation de ces conditions de travail, l’ouvrier abruti par les luttes sans relâche qu’il mène pour surmonter l’accroissement de l’insécurité des parcours professionnels.

Pour lui, la seule vertu, c’est celle de la plainte contenue, de la morale de l’écrasement, du rapetissement, du bonheur subi (ce qui est contradictoire) et non choisi. Sarkozy exècre la gauche parce qu’elle rappelle les évidences qu’il se refuse de voir : la lobotomisation induite par les nouvelles règles de production économique, prisonnière de flux, esclave du temps, sommée sans cesse de se transformer pour appréhender un tant soi l’imprévisibilité de l’horizon du marché.

Pour Sarkozy, se plaindre, c’est faillir moralement. Pour Sarkozy, se suicider, c’est un peu de sa faute, pas celle d’une société qui marche la tête haute pour que les entreprises n’aient pas à se préoccuper des futilités exprimées par le vulgum pecus. Ce qu’a vu Onfray est « glaçant », pour reprendre l’expression de François Bayrou. Il a vu un homme en souffrance, à la culture parcellaire, annôneur de fiches, authentique lorsqu’il dit sa propre souffrance, qu’il a surmonté à grandes louchées d’hyperactivisme pour prendre une revanche sur les humiliations qu’il a subies et dont il ne perçoit plus, très étonnamment, la contemporanéité.

Oui, Sarkozy avance le Kärsher au poing pour laver la France de l’honneur d’essayer de comprendre encore et toujours pourquoi les évidences sont toujours trompeuses. Dans le monde idéal de Sarkozy, il n’y a que sa propre souffrance qui mérite d’être respectée.

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A l’approche de l’élection présidentielle, les peurs françaises se précisent. Peur d’une rupture trop cassante avec Nicolas Sarkozy. Après avoir dragué les eaux de gauche (Blum, Jaurés, etc.), le candidat de l’UMP recentre sa stratégie sur le cœur de cible naturel de la droite française : la patrie, la lutte contre tous les désordres, la guerre faite aux fauteurs de troubles, inexcusables, le martèlement de la valeur travail, laissant supposer que ceux qui ne travaillent pas ne le veulent pas, qu’ils s’arrangent avec l’assistanat.

Le but inavouable de Sarkozy est d’ignorer les causes des maux ou de les minorer. Les assistés sont dans l’œil du viseur, les marginaux doivent rendre des comptes, les délinquants ne doivent recevoir qu’une réponse répressive de l’Etat…

Peur d’une inadaptation congénitale du discours de Ségolène Royal. Après un démarrage en fanfare, ébréchant un à un les tabous d’une gauche empoussiérée, la candidate PS aurait mis en sourdine sa volonté initiale de transformer la gauche de l’intérieur en créant simultanément un élan humain mais autoritaire, une France juste mais attentive aux plaies d’un libéralisme nécessaire provoquant cependant de la casse dans les couches sociales les moins préparées à sa force tsunamigénique.

Peur du pari osé d’un François Bayrou visant l’épanouissement d’un centre pour une thérapie équilibrée d’un pays fragmenté, en plein doute sur ses possibilités de rebondissement. A l’échelle de Richter de la prise de risque, François Bayrou est sans doute le plus actif mais il ne peut se débarrasser du jour au lendemain de l’instinct stratégique qui habite les démarches les plus audacieuses. En fin historien des mouvements politiques, il sait que les tenants des refondations ont mordu la poussière dans des aventures les propulsant dans l’anonymat des désidéologisations avortées. Peur, donc, ici encore, d’une impasse, d’une aventure sans lendemain, d’un rêve au réveil trop brutal.

Peur enfin de Jean-Marie Le Pen. Quelques indices auraient du nous alerter, comme ces études sérieuses attestant que les Français ont de moins en moins de scrupules à se dire racistes ou encore celle du Bureau international du travail montrant que la discrimination à l’embauche à partir de la couleur de la peau ou des caractéristiques typées des noms propres se renforce. Le Pen a détabouïsé le racisme ordinaire. Pour faire reculer la lepénisation des esprits, il eut fallu que la future ex-présidence entraîne la France vers un meilleur respect de ses diversités, cette France qui n’est pas seulement en bleu-blanc-rouge (la voir ainsi relève d’une pathologie daltonienne).

Cette campagne confronte finalement la France, très intéressée par la qualité des débats, à deux phénomènes : l’hésitation et le pragmatisme. Hésitation quant au choix de l’avenir. Pragmatisme affiché pour un choix authentique qu’elle sera amenée à faire : l’enfermement ou l’ouverture, le statut quo ou la réforme, rapide, nerveuse, tourneboulante.

Si Le Pen est encore au deuxième tour, il faudra cesser de faire de la politique comme avant. Parce que Marine Le Pen sera encore plus efficiente dans la stratégie de normalisation du FN que son père. Alors, cette France qui ploie mais ne craque pas, cette France bourrée de vitamines associatives, de créativités humaines mais qui ne sait à quel saint se vouer, dans quel état sera-t-elle au lendemain du 5 mai, après une énième crise de nerfs ? Qui sera le plus légitime pour lui administrer le traitement qu’elle attend depuis plusieurs années ? Qui lui permettra de sortir de la nasse de son « iréformabilité » ?

Crispée, atteinte d’un syndrôme obsidionnal lourd, la France patauge-t-elle aujourd’hui dans un climat pré-insurrectionnel, qu’une simple étincelle pourrait faire flamber, avec les conséquences dramatiques que l’on imagine ? La France sera-t-elle le premier pays riche de l’amorce d’une Révolution qui se répandra à la vitesse du TGV ? C’est cette France des peurs qui se présente devant l’isoloir les 22 avril et 5 mai prochains et, franchement, honnêtement, personne ne peut prédire aujourd’hui ce qu’il en sortira…

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Le quotidien La Provence réalise un entretien avec Bernard Tapie ce jour juste avant le match VA-OM de samedi soir. Et ce que dit Tapie est stupéfiant !

Le journaliste Laurent Blanchard lui demande s’il pense encore à l’affaire. « J’y pense toujours. Pour moi, cette affaire sera terminée le jour où Jean-Pierre Bernès (NDLR, l’ancien proche de Tapie à l’OM) voudra bien dire ce qui s’est vraiment passé en mai 1993. Aujourd’hui, je ne lui en veux pas plus que ça, alors que nous étions tellement proche à l’époque ! C’est la vie. D’ailleurs, j’ai un de mes meilleurs amis, que je soutiens politiquement (Jean-Louis Borloo, ndlr), qui sait parfaitement lui aussi ce qui s’est réellement passé, mais il n’a jamais eu envie de le dire. Je ne lui ai de toute façon jamais demandé. J’espère seulement qu’il le fera, un jour ». Ouf !

1. Tapie a vraiment de drôles d’amis qui préfèrent l’envoyer huit mois fermes en prison plutôt que de lui venir en aide en révélant la vérité !

2. Si vous croisez Borloo, ce serait sympa de lui demander « ce qui s’est réellement passé ».

3. Si Borloo dit « ce qui s’est réellement passé », l’enquête sera-t-elle réouverte ? Tapie a-t-il ainsi sacrifié sa grande carrière politique à cause de deux amis qui l’ont lâché ?

4. L’un des premiers ministrables de Sarko s’amuserait-il à cacher des infos qui pourraient servir la justice ?

Je savais qu’en se débarrassant de Tapie, la gauche se porterait mieux (enfin, façon de parler). A Sarko de se dépatouiller avec notre Nanard national ?

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Ainsi donc, Nicolas Sarkozy s’en va tranquillement vers son sacre. L’animal politique qu’il est, dévoreur d’études d’opinion, a tout à fait intégré que les polémiques qu’il suscite sur les valeurs morales (bric-à-brac sur les prédestinations génétiques de catégories sociales qui vont subir de nouvelles stigmatisations), la manière extraordinaire avec laquelle il a toréé sur le thème de l’insécurité, où les Français, déboussolés, complètement à la dérive, jugent que la situation s’est dégradée avec le ministre de l’Intérieur Sarkozy mais pense que le candidat Sarkozy sera certainement plus efficace que le ministre…

Bref, on nage dans l’iréel, l’ubuesque et Sarko le sait, avec cet aplomb fou qui lui permet de prendre toujours à contre-pied les questions un peu molles qu’on lui pose, sortant toujours une statistique contraire à la statistique officielle, comme les magiciens, jamais pris au dépourvu… L’homme est incassable. Il manie l’art sophistiqué avec une vista incroyable. Tout va mal mais ce n’est pas de sa faute, lui qui a participé au gouvernement Raffarin, puis De Villepin. On l’a empêché sans doute d’agir, le pôvre garçon, tout penaud. Sarko est un félin, il retombe sur ses pattes, il sort gagnant de toutes les rixes qu’il déclenche, il traite ses ennemis de « connard » et il pense qu’ils le sont tous.

Oui, c’était une bataille qu’il eut fallu gagner à mains nues. Royal aura essayé. Mais le poids des tabous à gauche, la coupable fascination des enseignants pour la danse du ventre de Bayrou, l’impossibilité de dire, simplement dire, « nous sommes un parti social-démocrate », la crainte sidérante de la gauche de la gauche, celle qui se contente de maudire et médire, qui n’a rien essayé de construire, qui n’a pas essayé de tendre une main, une petite mimine, au PS, cette extrême gauche qui sablera le champagne le soir de la victoire de Sarko, ravie sans doute de voir l’horizon du troisième tour social inutile s’ouvrir, embourber la dynamique du pays pour des mois, des années…

Ah, le grand air du grand soir, les pizzas parties au siège de la LCR à réinventer un monde qui ne viendra jamais, et le 1er mai, hein Jo, t’es là, hein, on se fait une bouffe, OK… Une seule interrogation me taraude : comment se fait-il qu’autant de personnes autour de moi ne souhaitent pas voir Sarko prendre les destinées altantistes de la France et qu’autant de personnes au final lui préparent un joli sacre ?

Je dois vivre dans un autre monde, c’est possible. Je prends mon métro, je bosse, je mène une vie banale mais je dois traverser, malgré moi, des ilôts protégés d’une France salement fragmentée, défiante, angoissée, dépressive. Tiens, y’a Schivardi qui passe à la télé. Au moins, lui, il me tire un sourire. J’ai même le sentiment qu’il fait rire Gluckstein, ce qui est une performance. Allez, chers amis d’un monde fou, bonne soirée, y’a un Stephen Frears sur Arte, tout n’est pas si moche dans la future France de Sarko…

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