Feeds:
Articles
Commentaires

Archive for mars 2007

Chère Ségolène,

Je viens de discuter avec un petit élu du secteur, je reprends sa formule, et il a eu cette phrase pleine de bon sens : « Le pouvoir, on ne te le donne pas, tu le prends ». J’ai trouvé le propos d’une grande pertinence. Donc, voilà Ségolène, je te fais parvenir quelques conseils de stratégie de campagne que tu te dois impérativement d’appliquer si tu veux te sortir avantageusement de l’irrationnalité ambiante.

1. La mode démagogique actuelle est à l’antitout. Le Graal, c’est l’anti-système, le bayrouisme insultant, pénitent, magicien, démiurgique. Le vote pour l’invisibilité, pour une synthèse imprévisible, un rapprochement détonnant des contraires. Votez et vous verrez. Le vote chantage. Voilà une formule que je n’ai pas entendu dans votre bouche, « le chantage de Bayrou », la mise à l’encan du vote des Français, une adultération des choix démocratiques, la sublimation du non-choix, l’émerveillement infantilisant devant une synthèse impossible. J’imagine que votre staff doit bûcher d’arrache-pied sur cette improbabilité de l’avenir. Tiens, une idée, Ségolène : pourquoi Bayrou a-t-il un programme alors qu’il ne sait pas avec qui il va gouverner ? Etonnant, non, cette façon de prendre les gens pour des ruminants ?

2. Revenir aux raisons de votre succès de l’année 2006. Une détabouïsation d’un Parti socialiste abcédant dans ses difficultés de clarification de sa raison d’être. Vous l’avez compris, Laurent Fabius s’est fourvoyé avec son gauchissement stratégique et il faut que vous vous adossiez sur le talent de DSK pour affirmer une sociale-démocratie expurgée des scories du blairisme. Vous devez mieux incarner la modernité d’une gauche qui condamne le libéralisme échevelé sans remettre en cause l’économie de marché qui, quoi qu’il arrive, régentera les rapports entre les pays pour de nombreuses années.

3. Les Français votent aujourd’hui comme ils achètent la dernière Play Station pour le petit. Ils cherchent le meilleur rapport qualité-prix, aiment bien l’accueil qu’on leur réserve au magasin, culpabilisent un petit peu par rapport à leur lâcheté mais arrachent ici ou là quelques justifications morales à leur comportement. Il faut leur donner comme un supplément d’âme à leur déprise sociale. Cette élection est celle de la classe moyenne que les pauvres exaspèrent, qui en ont marre d’une insécurité dont ils subissent en premier les retombées, qui en ont marre d’être la variable d’ajustement permanente des politiques sociales, etc. La puissance de fragmentation de notre société se situe au cœur des doutes des classes moyennes, exaspérées par un modèle social qui ne se réforme pas, par un jeu politique figé sur ses postures habituelles.

4. Je comprends pour vous la difficulté de donner un grand coup de pied dans la fourmillière socialiste. Vous avez produit en 2006 quelques jolis figures de style d’un détachement aéré, tant espéré, de la dogmatitude socialiste (ne prenez pas ce dernier terme comme une critique, j’adore les néologismes qui ravivent la langue française). En fait, je crois que la France aime votre courage de 2006. L’ennui, c’est que l’élection a lieu dans un mois, en 2007 donc. Le piège partidaire se referme sur vous. J’imagine de là avec effroi tout ce que cela doit impliquer en termes de saloperies en tout genre au sein de votre formation, les petites écuries des courants minuscules qui réclament des rééquilibrages mortifères, la déploration lacrymale de ceux qui préfèrent perdre pour attendre le prochain tour. Ah, mon dieu, ce temps-là est fini, ma chère Ségolène, ils ne le savent pas, le temps est à la vérité, au regard fixé sur le monde tel qu’il est, à réformer à partir des désorientations dont il est affecté.

5. Je voterai pour vous, bien sûr, parce que j’ai bien aimé ce vent frais de rénovation que vous portiez. Si, par malheur, vous n’étiez pas au deuxième tour, la gauche radicale aura gagné et les électeurs de gauche seront encore plongés dans le non-choix, un non-choix plus terrible encore que celui du 21 avril 2002. La droite ou la droite et non plus la droite ou l’extrême droite ? Je n’ai jamais voté blanc mais là, j’y serai bien contraint, par respect pour mes propres convictions.

6. Chère Ségolène, je me mets vraiment à votre place, si difficile. La démagogie est une vague que l’on arrête pas, un tsunami postural. Faites comme Bayrou, soyez plus démagogue, dites ce que vous avez au fond du cœur, donnez donc naissance à cette gauche que les Français attendent, loin de la monarchie miterrandienne, plus rocardienne, plus deloriste, plus réaliste, plus olivierduhameliste, plus respectueuse de ses talents que de ses équilibres de foire…

Je vous souhaite un prompt rétablissement… dans les urnes.

Read Full Post »

Bon, de quoi on parle… Bayrou ? Je l’ai là, au bout des doigts, le Bayrou. Met tout le monde en cause, ç’a en devient presque assourdissant, une logomachie interminable, essoufflée.

Synthétisons donc : pour Bayrou, il était avant un jeune « conformiste » dont le « formiste », selon ses dires, était peut-être de trop. Il mène donc une campagne autodérisoire, partant de lui pour aller jusqu’au système, autolaudateur avec sa capacité de distance. Le mépris de soi et des autres est une forme d’élégance de l’intelligence. Bayrou est donc un « con » finissant qui ne se cache pas. Fort de cette lucidité, il veut exploser le formalisme du système politique français. Ce qui est plus ennuyeux, c’est qu’il en reste là.

Il me rappelle ces velléïtaires qui promettent au cours d’une beuverie de tout envoyer paître le lendemain matin mais qui retourne sagement au boulot une fois les vapeurs de l’alcool dissipées. Car l’imposture Bayrou n’est pas tant liée à sa propre évolution : annoncer que l’on va tout faire péter séduit généralement les masses et, à vrai dire, le système bipolaire tel qu’il est figé mériterait en effet quelques bouffées d’oxygène, ne serait-ce que pour permettre aux grands pourfendeurs des partis de gouvernement de se frotter aux sciences dures de la gouvernance (on imagine de là l’accueil qui serait réservé à Besancenot dans un sommet européen…).

L’imposture Bayrou, c’est la pochette surprise de l’après 22 avril. Il y a du camelot chez ce garçon. Faites-moi confiance, votez pour moi, on verra bien après. Avec qui Bayrou présiderait-il aux destinées de la France ? Votez, nous verrons plus tard. C’est quand même fou, non ? Un pays qui confierait sa destinée à un homme dont on ne sait avec qui il finira par gouverner.

A droite comme à gauche, pas un début de frémissement pro-Bayrou. Et si une candidature bouscule quelque peu le paysage habituel de la gauche, c’est plutôt celle de Nicolas Sarkozy, avec quelques ralliements salutaires (la gauche enfin débarrassée de Bernard Tapie) ou plus honteux (Bernard Kouchner, l’éternel incompris).

Bref, comment voter pour quelqu’un dont on ne sait aujourd’hui avec qui il va gouverner ? On s’en tamponne le coquillard, rétorquent les plus récents convertis, ex-sympathisants socialistes. Ralliement de dépit, violence de l’amour-haine, tout sauf le vieux système. C’est en cela que cette élection présidentielle ressemble finalement comme une sœur jumelle au référendum de mai 2005 sur le traité européen. Les Français ne veulent plus qu’on leur dicte leur manière de penser. Ils trouvent une justification sociale auprès de celui qui les invite au grand frisson de l’inconnu.

La seule question que je me pose est la suivante : si Ségolène Royal avait poursuivi dans cette dynamique du tout ou rien, refusant l’appui des « conformistes » éléphantesques, bousculant les dogmes bien assis, regardant la réalité en face sans se référer au bréviaire socialiste, peut-être galoperait-elle dans les sondages vers une victoire assurée…

Ceux qui basculent vers Bayrou au PS sont ceux qui ont cru, quelques semaines, à l’entreprise de décadrage de Ségolène Royal et qui n’ont pas admis qu’elle s’assagisse. Les Français votent donc désormais à l’aveugle et, si possible, pour le projet le plus transgressif. Bayrou flatte chez eux une forme d’exotisme du lendemain. Reste à savoir si le contenu aura la même saveur que le contenant…

Read Full Post »

La lente agonie du journalisme de presse écrite, le plus exigeant dirons-nous, en mettant immédiatement de côté les journaux qui servent à tuer le temps dans les salons de capilliculture (Paris-Match, Voici, Voilà, Etc.), est, bien entendu, une mauvaise nouvelle pour la démocratie, selon la formule consacrée.

Mais, comme toujours, le débat devient très vite enrageant dès que la profession essaie de comprendre pourquoi et comment on en est arrivé à un tel niveau de dégradation. Il semblerait que les causes soient toujours extérieures à la profession elle-même. Qu’il ne s’agirait que du déchaînement d’une mauvaise destinée. Que les lecteurs, abreuvés d’internet, de satellites, de gratuits, se seraient détournés malgré eux et surtout malgré les excellents journalistes qui composent la presse écrite des excellents journaux qu’ils concoctent au quotidien. Bref, la mort annoncée de la presse écrite de qualité serait due à un abrutissement progressif des lecteurs face auquel les excellents journalistes seraient démunis.

Quand j’étais journaliste en province, dans cette PQR qui se vautre dans les compromissions les plus odieuses avec les chefferies locales, j’avais rencontré un journaliste sportif italien –nul n’est parfait-. Je prends l’exemple du sport non par goût personnel, je ne déteste pas me débrailler devant un bon OM-Bordeaux de temps en temps mais là n’est pas le sujet, mais parce que le sport et la PQR forment les deux pôles les plus parlants de la servilité du journalisme local. Il m’avait expliqué que les journaux italiens avaient mis en place des tournées de veille de l’actualité sportive pour éviter qu’un journaliste ne reste trop longtemps au contact des joueurs et transforme son métier en un déshonnête supporteurisme.

De plus, il y avait les journalistes de terrain, recueillant les faits du jour et un autre, placé en léger surplomb, analysant les causes des défaites ou des victoires, que les joueurs ne croiseraient presque jamais. Son rôle : non pas dire la vérité puisqu’elle n’existe pas mais donner, chaque jour, des éléments de débat aux lecteurs, en essayant d’englober ce que la réalité, par essence subjective, montre d’elle-même, des processus en cours, des hésitations, etc.

La presse de qualité souffre en France d’une opposition franche entre les tenants d’une opinion tranchée qui ne se dédit jamais, ce qui relève du religieux, et une volonté d’embrasser l’ensemble des points de vue qui vire à l’adynamie de l’encyclopédisme.

Certains titres m’ont sans doute échappé mais je ne crois pas avoir lu dans le Nouvel Obs un dossier pourtant essentiel qui aurait tourné sur les conséquences positives ou négatives du retour des éléphants. Ou encore sur la fumisterie qui consiste à laisser entendre que la politique ne sera jamais plus comme avant alors que le système organisationnel du PS tournera jusqu’au suicide autour du bras de fer entre les sections les plus fournies en cartes de membres.

Un bon journaliste est quelqu’un qui pose de bonnes questions et qui essaient d’y apporter de bonnes réponses. La connivence est nécessaire avec les pouvoirs en place pour entrer dans les cuisines. Mais l’autorité d’un journaliste ne se construit pas autour d’une dialectique de contournement –mondanités que tout cela- mais dans le cadrage de la réalité.

A quand des papiers fouillés sur les rapports locaux entre l’UMP et l’UDF ? Sur la violence dans les cités ? A quand l’immersion dans le réel ? La presse écrite meurt parce qu’elle vit à côté de la plaque. Parce qu’elle décadre, par tics mimétiques, ce qu’elle constate. Il faut qu’une équipe de jeunes journalistes helvètes loue un HLM à Bondy pour comprendre enfin ce qui se passe réellement dans une cité difficile. Il faut désormais travailler dans un dépouillement à l’anglaise, en regardant droit dans les yeux les réalités les plus crues, sans se mentir, sans mentir aux autres.

La seule et réelle noblesse de ce métier est de perturber les dogmes les plus poussiéreux, de bousculer les certitudes les plus établies, de dénouer l’artificialité des propos sentencieux, de partir de l’expert pour aller à la réalité, d’exercer des va-et-vient permanents entre ces deux pôles.

Quand les lecteurs retrouveront le monde tel qu’il est décrypté dans les journaux de référence, les blogs et autres fantaisies ludiques d’expression narcissique retrouveront leur vraie place, forcément anecdotique.

Read Full Post »

J’ai un petit souci avec M’dame Chirette. J’ai failli me fâcher définitivement avec elle. J’essaie de lui expliquer depuis hier qu’elle était forcément experte de quelque chose, comme la Ségo le dit. Elle a d’abord cru que je me moquais d’elle. Il a fallu que je rétropédale pendant la diffusion de Plus belle la vie pour préciser ma pensée. J’ai tiré des psaumes de Désirs d’avenir.

Par exemple, la Ségo pense que chacun a une expérience à faire bénéficier à quelqu’un d’autre. C’est quoi, une expérience, m’a-t-elle lancé ? Je lui ai répondu que ça pouvait être un événement de sa vie personnelle dont elle était fière. Elle a cherché. Mais elle a été perturbée par la mort d’un jeune à la sortie d’un lycée dans Plus belle la vie. Elle était émue. Je lui ai dit que c’était de la fiction. Elle m’a dit que ça partait de faits réels. Quiproquo.

J’ai essayé de reprendre la conversation sur les experts XXL. Elle a froncé les sourcils. « Tu m’emmerdes avec tes experts ! Tu vois pas la vie de merde que je mène ! Qu’est-ce que tu veux que je participe à quoi que ce soit ! Tu viens te moquer de moi ! Casses-toi, gauchiste ».

En rentrant à la maison, je me suis dit : à force de croire que tout le monde a quelque chose à dire, n’allons-nous pas renforcer la souffrance de ceux qui savent qu’ils ne pensent rien ? Le cauchemar participatif, c’est finalement un peu ça, le débordement du n’importe quoi, le n’importe quoi qui s’emballe, des indigestions de mots, de thèses, d’existences en dedans, des blogs pour les potes, des cris poussés dans le vide que l’on croit plein. Un emballement hyperviolent de la machine à dire ouverte à tous les vents.

Onfray, Menu, Chirette sur le même plan, eh, oh, coco, faut se calmer. J’ai lu le dernier ou avant-dernier post comme on dit d’Onfray. Je partage la haine des intellectuels pour ce débat troué d’artificialités cathodiques.

Quand j’écoute l’excellente émission Du grain à moudre sur France-Culture, je me dis qu’est-ce que c’est bon la culture posée sur les rails du temps, de la décantation, de la confrontation des idées, les vraies. Je ne regarderai plus Ripostes et cette tentation comique de faire dans l’épate, de demander à des intellectuels qui ont passé des années le cerveau scotché à essayer de comprendre la complexité du monde de ramasser leurs idées vulgairement, pour que tout le monde parle, et pourquoi y’a tant de mode sur les plateaux télé, pourquoi la compréhension d’un sujet difficile passerait-elle par la spectacularisation du débat intellectuel.

Hier soir, j’ai appelé M’Dame Chirette. Me suis excusée. Elle est sensible. Elle sait qui elle est. Experte de rien. Vlan, elle m’a lâché ça. Elle veut qu’on respecte ça, qu’on la laisse tranquille. Avec les salutations distinguées de la France inexperte…

Read Full Post »

Il fut un temps, pas si éloigné d’ailleurs, où je tins la chronique de la vie modeste de Madame Chirette. Tous les jours, dans un journal local, je restituai l’humeur de cette femme face aux jeux olympiques de Séoul.

En général, c’est un peu comme ça que ça se passe quand on débute dans la profession : il faut s’arracher un petit bout de gras singulier au milieu des plumes altières qui squattent les meilleures places lors des meilleurs événements. « Chez M’dame Chirette ». Une petite colonne par jour. Je lui avais donné les traits de visage de ma grand-mère.

Deux grosses loupes aux yeux qui rendaient son regard monstrueux ; une blouse bleue chiotte accentuant le contraste rose d’improbables caducées inscrits en relief ; des savates, renflées à l’endroit des orteils ; une peau de reptile où se logeaient des surplus de Nivea dans des écailles calleuses…

L’idée n’était pas de poser le cul grotesque de mon surplomb sur le peuple vagissant. J’ai des bonnes manières, je pars du principe que les gens ont choisi ce qu’ils sont, ce qui évite en général les longues discussions familiales sur le fatum indélicat. Nous ne sommes que la somme de nos actes, dis-je à mes enfants, en citant Sartre, entre deux pubs de Skyrock sur des prochains concerts d’anencéphaliques rapers aux tuniques tunées.

Le principe de la chronique dégageait même une certaine noblesse : montrer la vie de ses dissemblables, en évitant de la juger le plus possible. Oh! certes, l’infra-vie n’a rien d’excitant pour les cerveaux bien faits.

La culture contient cette violence inouïe qui éloigne des simples d’esprit ; elle est presque faite pour ça, pour indiquer une échappée dans un océan de crasses, pour laisser le peuple à ses lassitudes, pour tutoyer d’autres altitudes.

C’est ça, la culture, un paravent, un bouclier pour éloigner et s’éloigner de la bêtise… Une chose me gêne cependant : cette masse informe à front d’aurochs nous domine, nous écrase. Et elle n’est pas écoutée. Elle ne dit pas grand chose, en général, c’est vrai. Elle sort ses tripes, n’a pas de recul sur les faits. Et quand elle enrage, elle sort cette phrase terrible, uppercut : « Moi, je n’ai pas fait d’études… »

Ce sont ces gens qui vont faire le vote du 22 avril prochain. Ce sont ces gens qui désespèrent les intellectuels. Ce sont ces gens qui imposent aux politiques leur présence dans des émissions débiles où ils débitent des anecdotes sur le temps de cuisson du veau pané ou leur premier flirt.

S’ils citent Proust, ils sont hors sujet et se désespèrent de leur vocation. Ce sont ces gens qui obligent les intellectuels à la miniaturisation de la complexité, à la lyophilisation des concepts. Ce sont ces gens qui engraissent les boîtes de com’ et qui flottent avec menace sur les débriefings des journées électorales ratées. Ce sont ces gens qui s’accrochent avec désespoir à des petits bouts de compréhension –la sincérité de Bayrou, la féminité de Ségo, l’autorité de Sarko, l’entêtement d’Arlette- pour se rendre devant les urnes avec un chouia de respect d’eux-mêmes. Je ne cause pas des panels d’Ambiel ; je suis au plus profond des entrailles, de la flaccidité des choix improbables, du tribalisme de la tripe.

Vous me trouvez sévère, sans doute, injuste, injurieux. C’est que vous ne connaissez plus le peuple depuis longtemps. C’est que vous vivez entre vous depuis de trop nombreuses années, que vous n’avez plus le sens de la vie d’en bas, des rues noires de quartiers hideux, de l’humidité des habitations insalubres, des horizons débarrassés de lunes. Vous alunissez ailleurs. Je n’ai pas de passion pour l’infra-vie. Je resterai sincère. Je ne me moquerai jamais de ce peuple en lui faisant croire qu’il est expert de quoi que ce soit, si ce n’est de cette misère qui l’afflige, qui ne ment pas, dont il est conscient. Quand la vacuité vous saisit, les gens qui vous disent le contraire passent pour des ignares.

Plutôt que de poursuivre la dissection des faits de campagne, que d’autres font bien mieux, j’ai repris contact avec M’dame Chirette. Elle sucre les fraises dans une maison de retraite de Provence, a échappé à la canicule de justesse, ira voter au prix d’un effort physique incroyable parce que le civisme, pour cette génération, est presque aussi important que l’entretien des napperons et l’arrosage minutieux des géraniums.

Le jour où je lui ai proposé de reprendre notre collaboration, un candidat local aux cantonales effectuait une visite en distribuant des boîtes au chocolat. Il était accompagné d’un imitateur de Bourvil. Il l’a embrassée trois fois. Elle l’a trouvé sympa. On ne l’avait plus embrassée autant depuis longtemps. La directrice de la maison était dans le coup. Une lointaine connaissance du candidat. Ils ont négocié dans le bureau une petite rallonge de subvention pour les activités artistiques des pensionnaires. Bourvil bis collait des affiches dans les couloirs de la maison. Et distribuait aux enfants des vieux des places de cirque pour leurs morveux. Le candidat, avant de partir, a entamé les feuilles mortes d’Yves Montand avec une vieille moins embrumée que les autres. Effet garanti. Demain, le même cirque se répètera avec un autre candidat.

Le temps des élections, dans les maisons de retraite, se caractérise par un net regain d’amoralité de ce type. C’est ça, c’est ça, c’est ça la France, chanterait Rika Zaraïe. Pendant qu’Alain Minc et Benjamin Stora s’étripent sur le modèle social français, les grands partis démocratiques achètent les bulletins de vote à coups de boîtes de chocolat.

Mme Chirette m’a même montré un jour une lettre signée d’un élu annonçant que les prochains colis de chocolats seraient encore plus fournis en cette année électorale que ceux des années précédentes. Dans les secrétariats des élus de proximité, on ne fixe pas seulement les derniers détails d’une révision du Scot. On se couche très tard pour établir le plan détaillé de la distribution des colis pour éviter de fâcher ces électeurs amoureux de douceurs.

Mme Chirette a accepté de reprendre la plume pour les lecteurs de cette blogosphère. La démocratie vue d’un fauteuil croulant. La chronique chocolatée de la vraie vie. Sans mépris. A l’anglaise, éprise de détails vrais, arrosée de Pernaut, de Romejko, de Plus belle la vie. La vie telle qu’elle est, telle qu’elle nous désespère, telle qu’elle les désespère aussi un peu…

Read Full Post »

Cette campagne est trop longue. Le 22 avril, c’est si loin. La balle est désormais dans le camp le moins intéressant, celui de la communication. L’objectif des publicistes est de rapprocher le candidat des catapultes symboliques. Sarkozy chez un Druon bon pied bon œil, histoire d’atténuer cette image de libéral énervant, de ce libéralisme échevelé que les Français goûtent si peu. Une pincée de gaullisme social pour infuser un style, se démarquer des reproches que l’opinion, disséquée à la loupe, se forme sur des bouts d’apparence. Ce qui me surprend chez Sarko, c’est qu’il est toujours devant dans les sondages, que sa campagne a beau connaître des ratés, il garde le cap. Drôle de pays, aux certitudes volatiles, qui dit non au traité européen et s’apprête à élire le tenant d’une Europe qu’il a violemment rejeté. Est-ce à croire que les référendums ne seraient que d’immenses défouloirs, des rejets mimétiques, l’expression irrationnelle d’un mal être imparfaitement analysé, sans réponse ?

Comme prévu, le retour des éléphants socialistes alourdit la dynamique de campagne de Ségolène Royal. Presque écrit par avance. Ah, si tu m’avais écouté, Ségo ! Les Français voteront pour la rupture. La rupture et le vote utile font un bras de fer. Les hésitations de Jospin sur son mode d’intervention dans la campagne éveillent le souvenir d’une époque que le pays ne veut plus. La France ne croit plus en l’homme providentiel. Elle croit aux vertus de la sincérité, de la rectitude. Bayrou s’est engouffré dans la brèche. Avec une grande élégance littéraire, il appuie sur les ressorts de ce rejet, de cet antitout dominant, se pare des plumes de la vertu, promet un big-bang politique. Je prédis de là le ralliement de Kouchner ou de Rocard, la bienveillante approbation de Cohn-Bendit, tous des victimes de l’accul systémique du PS où les adoubements ne sont pas à partir des hommes mais des sections richement fournies en cartes et qui font la pluie et le beau temps des élections.

Travail titanesque pour Ségo. Tourner la page de la vieille machine PS, la révolutionner de l’intérieur en allant gagner la plus difficile des élections. La tentative du coup double. De la fine broderie stratégique. Pensée, subtilement pesée. Aujourd’hui, la souffrance du pays est à gauche. Mais le pays sera exigeant avec elle. Il veut des preuves concrètes d’une ère qui s’achève. Son pari est de sonner la marche en avant en portant l’ensemble du PS vers la rénovation. Trop lourd, peut-être. Trop utopique.

Les Français choisissent leur candidat comme ils regardent au JT les défilés de mode. Ils ne croient pas, au fond d’eux-mêmes, à la réalité de ces naïades déambulant sur la scène comme des messagères de l’Eden. Mais ils regardent, légèrement épuisés, les convictions dans les chaussettes. Ils regardent cette noblesse du port qui leur échappe, ce festin dont ils ne seront jamais les hôtes privilégiés. Ils cherchent la lumière d’un dépouillement, un reflet évocateur qui leur rappelle qu’une communauté heureuse est possible. Ils ne croient plus en la politique, ils croient en ceux qui le leur disent, ils croient à l’humilité, à l’effacement actif, au dépouillement moral.

Quelques-uns insistent sur le combat personnel que Bayrou entreprit pour dominer son bégaiement. C’est du Paris-Match pur jus. Du papier glacé apaisant sur la carrière brillante d’un homme qui eut à surmonter le défaut le plus insupportable de l’homme public. Bayrou est en empathie avec ce peuple dont les doutes bégaient. Il leur dit que tout est possible, que l’espérance s’offre à tous les hommes de bonne volonté. Avoir surmonté son bégaiement prédispose à une fascinante élocution. Le flux verbal de Bayrou n’a pas ce mécanisme autoritaire des certitudes moulinées d’un surplomb quelconque. Ce qui marche, en com’, c’est ça : afficher sa ressemblance aux autres, à ceux qui souffrent, faire admettre l’idée d’un lien, certes lointain, mais d’un lien quand même de partage compatissant d’une même vision du monde. La France adore se dire que tout va mal. Bayrou pointe avec une grande démagogie les responsables dont il s’extrait, comme s’il n’était pas responsable du capharnaüm, comme s’il échappait à la responsabilité du bilan. Savoir chuchoter à l’oreille du peuple qu’il détient la vérité, là est la clé du succès. Le seul contre tous a toujours marché. Le seul contre tous les fieffés du système est un scénario qui marche.

Je désespère d’avoir Ségo au téléphone. Je crois que je mènerai désormais campagne « dans mes rêves », comme chante un rappeur. Je vais apprendre à bégayer, ça pourrait servir. Souffrir comme le peuple que l’on veut servir sera mon slogan de campagne.

Read Full Post »