Connaissez-vous Nadia Brya ? Je me lève tôt ce matin avec le poids d’une culpabilité dans la tête : faut-il intégrer Désir d’avenir, là, maintenant, tout de suite, cliquer et en être?
Dans les Bouches-du-Rhône, la responsable du futur parti majoritaire de gauche s’appelle Nadia Brya. Ancien baveux dans un grand petit canard, j’ai eu le bonheur de la connaître. Elle a été candidate dans les quartiers nord de Marseille pour une cantonale de 1998 et a été battue par une communiste brejnévienne qui avait punaisé le portrait de Georges Marchais dans son bureau.
Lorsque je m’étais rendu dans ledit bureau pour écrire son portrait, je l’avais un petit peu titillé sur la présence spectrale de Georges. Elle m’avait demandé gentiment de ne pas parler de la présence de ce portrait. J’avais accédé à sa demande. Flagrant délit de connivence. Je déteste tirer sur les ambulances.
Je ne connaissais pas à l’époque François Bazin, journaliste politique au Nouvel Obs, le plus grand sans doute. Le plus grand, ça ne veut rien dire, ça dépend des idées de la hauteur que l’on se fait, mais quand même, parfois, les évidences coulent sans qu’on y réfléchisse. Ce n’est pas de la flagornerie, François, c’est juste quelque chose que j’avais envie de te dire simplement. Je me souviens du message que tu m’avais laissé un jour sur mon portable. J’étais alors rédacteur en chef du Pavé de Marseille. Et tu voulais que je bosse un petit peu pour vous. J’ai donc eu la chance de te rencontrer.
Bazin, sur le terrain, c’est une méthode de travail. Il arrive à Marseille. Rencontre tout le monde. Prends rarement de notes. Laisse les impressions opérer des cercles concentriques. Cherche derrière les mots, les colères, les allusions, les crispations à identifier les trajets obscurs d’une communauté politique traversée d’égotismes, de craintes, d’authenticité.
Un jour, nous avons déjeuné ensemble. J’ai eu droit à une leçon magistrale de journalisme. Nous avions longuement pénétré les arcanes des particularismes locaux. Et tu m’avais ramené sur le terrain de l’archéologie du politique. Les systèmes naissent de l’Histoire, des conquêtes de patrimoines délaissés, de la géographie complexe des écosystèmes, des lignées familiales symboliques, des soubresauts des soubassements psychologiques des uns et des autres, du dégoût mondain des élites envers le peuple, de la pusillanimité des intelligences peu disposées à se salir avec ce peuple vagissant.
Poussé par ce désir de comprendre et non de juger, cette volonté d’expliquer et non de stigmatiser, Bazin éclaire l’avers du décor, les viscères du système, révèle une poétique du politique. Le vrai journalisme politique est là : non pas la haine du système mais l’éclaircissement de ce qui paraît, de prime abord, si artificiellement rageant. Je voulais juste te dire merci.
J’en reviens à l’amie Brya. Ségolène, si tu m’entends, tu as là de l’or en barre, de la pureté explosive, une élue potentielle qui bossera d’arrache-pied en renforçant l’honneur de la fonction. Ce premier petit écho s’effiloche dans l’alambiqué. Mais qu’importe, la blogosphère est le lieu du relâchement des normes.
Merde au chiffrage. Je sais, je ne devrais pas parler comme ça, ça fait un peu populo post-deux pastis, ça exhale un air de Café du commerce à 13h12, quand Pernaut se moque de la France profonde, quand l’actualité est ramenée à une suite de riens endimanchés ; TF1, pour moi, c’est le fond de thym de l’actu, l’aromatisation du plat des horreurs, l’exhaussement du dégoût.
Mais quand même, je poursuis sur mon éructation du jour, oui, trois fois merde au chiffrage. On reproche à Ségolène mais aussi aux autres aussi de délier les cordons d’une bourse passablement vide. On reproche aux candidats de financer leurs réformes en payant avec de la monnaie de singe. Je trouve le reproche déplorable. Dans le cas contraire, la campagne tournerait en rond, pas de projets, pas d’idées, zéro milliard d’euros dépensés, votez pour moi, je ne ferai rien.
Ce qui me gêne le plus, c’est la cohorte très parfum masculin d’avant la tribune de Julliard dans l’Obs des spécialistes des finances qui intègrent jour après jour les annonces présidentielles pour établir le compte courant des engagements. Pour eux, le meilleur serait le moins dépensier, un Etat absent à un moment terrible où il doit au contraire réaffirmer son autorité.
Se confronter aux Français courageusement, c’est forcément tomber sur des préoccupations catégorielles, des souffrances celées, du compassionnel ; c’est savoir écouter les dysfonctionnements dont le traitement coûterait peanuts ; c’est donner une vision de sa France où les Nadia Brya seraient indiscutablement projetés au devant de la scène, non pas pour pomper le fric des impôts, mais pour l’utiliser au lissage pacificateur des pactes civiques.
Je demande donc solennellement aux lecteurs du Financial Time de nous les lâcher un peu, le temps de la campagne, de nous laisser rêver en chiffrant le bon sens qui permettrait aux gens d’en bas de sortir des camisoles sociétales que Bazin dénoue si brillamment.
Les entreprises ont compris. Oui, chère Ségolène, elles ont compris. « Je ne peux pas supporter l’idée que mes salariés arrivent au travail avec la peur de l’avenir nouée au ventre », me disait un patron marseillais du BTP récemment. CNE, exonérations, patati… Il s’en fiche, le mec. Il veut du plaisir, du talent, un petit emballement collectif, une petite et belle histoire qui nous rendrait tous moins cons. Il s’est excusé en me disant qu’il était de droite, j’ai pris cette remarque pour une insulte.
Depuis que Pierre Cardo (UMP) est maire de Chanteloup-les-Vignes et qu’il a accompli un travail paradigmatique sur les cités difficiles –réélu chaque fois à plus de 60 % par le peuple de gauche, je dis ça pour rire bien sûr-, depuis que j’ai appris à découvrir les lignes de pensée de Jean-Christophe Lagarde, le maire UDF de Drancy, j’ai surmonté l’abêtissement acnéique de la caricature. Oui, Ségolène, les entreprises ont compris. Qu’importe qu’elles votent à droite, elles ont compris le principe du donnant donnant. Elles joueront le jeu avec toi.
Il y a un truc que je ne comprends pas au sujet de François. Oui, ton mec, le père de tes enfants. En 2007, j’avais acté que les couples s’aimaient et construisaient éventuellement une famille autour d’un principe irréfragable d’intimité, de sphère privée. Je n’arrive pas à comprendre en quoi la présence à l’Elysée du premier secrétaire du Parti socialiste pourrait constituer un bug dans ta dynamique personnelle.
Par sens de l’équilibre, je te propose de réserver une aile éventuelle du grand bâtiment de la France à Bernadette afin qu’elle puisse poursuivre son action généreuse en direction des enfants malades des hôpitaux. Elle était touchante, j’ai trouvé, cette femme, la dernière fois, face à Drucker. Je l’imagine avec tristesse en train de faire ses cartons, avec Jacquot en pantoufle et le chien Sumo qui gambade entre leurs jambes frêles. Quand elle suggère très authentiquement qu’elle ressentira un petit pincement au cœur en quittant l’Elysée, je la crois follement sincère, c’est-à-dire légèrement déformée face aux réalités du monde, uniquement en phase avec l’angoisse de la rose trémière face au réchauffement climatique. Mais ce que je dis est méchant et je n’aime pas être méchant. Cette femme est éprise d’humanité, c’est incontestable. Elle a juste été emportée par la bâfrerie de pouvoirs de son mari, elle pensait sincèrement que le pouvoir méritait les largesses de l’Etat, tous ces frais de bouches indécents, ce monde qui ne touche plus terre.
Bazin m’aurait expliqué : on oublie vite le rôle central des grandes familles bourgeoises dans la grande histoire du progrès. Ne plus s’emporter, rester sobre face à l’énervement primesautier, repousser les explications faciles des plateaux de Ruquier et Bern. Relire Foucault. Passer une VAE (Validation des Acquis de l’Expérience) d’archéologie.
Trois courriers… Depuis que j’écris ce blog destiné in fine à entrer dans le staff de Ségolène Royal pour faire le lien entre les experts révérés mais épuisés par les efforts qu’on leur demande pour simplifier leurs pensées et les gens de l’infra-ordinaire (Georges Pérec), j’ai reçu trois courriers d’internautes. Ce n’est qu’un début.
Ayant eu la chance d’avoir des parents merveilleux qui m’ont inculqué les blandices de la politesse, j’ai bien entendu voulu remercier ces aimables et talentueux contributeurs. Mais j’ai une difficulté majeure qu’un psy ne pourrait traiter dans l’espace du temps qu’il me reste à vivre et je trouve finalement qu’il faut savoir saluer la profondeur authentique de ses peurs et autres maladresse, bref, je ne sais pas comment ça marche pour dire merci. Trademarcks ou trademarks, bref, une subtilité technique m’échappe et dans ce monde réseauté, ne pas avoir la technique, c’est perdre la plume. Je salue donc ces contributeurs citant par exemple Corneille.
C’est sympa, cette blogosphère, on se prend à rêver de repas moins chiants où, très simplement, sans la violence mondaine du ping-pong des acquis culturels, sans la morgue de ceux que ça gêne d’être là parce qu’ils sont trop intelligents pour nous, quelqu’un parlerait de Corneille généreusement entre deux passages d’anges.
Je n’aime pas ressentir de haine. La haine est une impasse, une incompréhension. C’est pour cette raison que j’ai décidé de me pencher sur le cas de Nadine Morano, la dernière trouvaille UMP. Dans Envoyé Spécial, voir cette femme encapuchonnée dans son manteau fourbir un méchant coup avec une copine de classe devenue attachée de presse pour s’introduire vulgairement dans un colloque sur le Handicap pour casser de la Ségolène comme on arrache un sac à une mémé sur la Canebière me donne envie de gerber ou de voter Le Pen avant de demander aux bourreaux de Sadam Hussein d’achever mes souffrances. Mais je n’aime pas le goût que laisse la haine quand elle se déploie. On regrette toujours la haine. Je me calme.
Cher Eric Besson. Ne fais pas ça, je t’en prie. Calme-toi. Un garçon aussi intelligent que toi. Je devine les raisons de ton pétage de plomb dans l’univers pachydermique de Solferino. Tout ça sera bientôt fini.
Je finirai bien sûr toutes ces petites chroniques de la vie ordinaire d’un ancien baveux en vous tenant au courant de mes tractations avec Ségolène. En fait de tractations, il faudrait plutôt parler de traction arrière. Toujours pas de coup de fil. Soyez attentif à l’annonce de la réorganisation de l’équipe de campagne, l’info du jour sera que je n’y suis pas. Je m’en fous, Ségolène, si tu t’obstines, j’en profiterai pour lire à fond l’œuvre de Philip Roth et notamment la Contrevie dont Desplechin fait prochainement un film. Et ne compte pas sur moi pour en faire une fiche de lecture.
Tiens, la Contrevie, ce serait génial comme slogan de campagne, non ? Je plaisante, Ségolène, bien sûr. A demain et mes amitiés à François et à la petite famille…
Read Full Post »