Feeds:
Articles
Commentaires

Archive for the ‘Social’ Category

libertedexpression.skynetblogs.beLa funeste ambition du terrorisme mondialisé est d’insécuriser tous les coins du monde pour faire des touristes occidentaux des cibles privilégiés. Sur ce point, l’Internationale a échoué puisque le chantage à la peur, que ce soit du côté des autochtones ou de celui des touristes, n’influe que très modérément sur le comportement de la société du loisir. La menace terroriste appartient désormais aux classiques du fatum : nous voilà tous transformés en victimes potentielles de la folie des hommes.

En revanche, là où Al-Qaida et ses sbires ont sans doute réussi, c’est dans la mutation de l’homme moderne comme auteur possible d’actes terroristes. Nous sommes désormais 6 milliards d’humains potentiellement terroristes. Le profil sociologique des auteurs des attentats manqués de Londres accentue la brutalité de ce constat ; les médecins en question ne recoupent pas, tant s’en faut, la thèse définissant les auteurs des attentats comme de pauvres bougres facilement conditionnables parce que soumis depuis des lustres à la misère endémique. Cacher l’intention meurtrière derrière des profils bien insérés complique à l’évidence le repérage du passage à l’acte.

Cette réalité fait peser une lourde menace sur le dialogue intercivilisationnel. Il appartient désormais aux pays musulmans d’intégrer cette donne pour lancer in situ de vastes plans de lutte contre une misère que les élites négligent. La séduction terroriste sera d’autant moins opérante qu’elle sera contrainte par la construction d’un avenir possible à l’intérieur des frontières des pays concernés. Dans le cas contraire, l’enfoncement dans la misère entraînera une croissance du ressentiment dont les terroristes feront un prolifique terreau.

Dernier petit point : la Cnil a raison de s’inquiéter (c’est sa fonction) d’une surexposition de la sphère privée dans le développement important de la vidéosurveillance dans notre pays. Mais comment éviter ce recours orwellien face à une menace si diffuse, pouvant venir de nulle part ? Il faudra donc accompagner le développement de cette technologie utile par des sanctions impitoyables envers des représentants de l’Etat tentés d’en détourner l’utilisation à des fins de vampirisation de notre vivre ensemble.

Read Full Post »

www.insideweb3.fr Dans un bel élan corporatiste, la profession journalistique se braque : les blogueurs ne seraient que des sous-journalistes, incarnant une forme suspecte d’incandescence de la verbosité, expression d’un galimatias déqualifié de regards biseautés sur le monde tel qu’il va.

Pour avoir bien connu cette profession, je peux me permettre deux à trois constats un peu rudes :

1. Le sous-dimensionnement intellectuel, notamment dans la presse quotidienne régionale, de la caste journalistique est certainement plus inquiétant que la profusion « blogueuse » où l’on trouve tout et n’importe quoi (mais, comme au marché aux puces, faut avoir le flair).

2. Le journalisme de qualité requiert deux paramètres : la curiosité (l’intuition du dysfonctionnement, l’ambition de planter la plume dans la plaie) et le temps. Le temps est un luxe dans le journalisme. Le monde est si complexe que les journalistes ont besoin de prendre du recul sur le flux RSS d’un monde dont l’information d’il y a quinze minutes a déjà vieilli.

3. Le blog n’a aucune autre prétention que celle d’apporter un élément de lecture différent sur l’actualité « officielle ». D’ailleurs, les journalistes qui tiennent leur blog sont généralement plus libres et percutants que lorsqu’on les retrouve dans leurs habits officiels. Bien entendu, un article de l’ami Claude Askolovitch sur son blog restera « mieux » informé que celui d’un écrivassier comme ma pomme qui n’a ni accès aux lectures commentées des acteurs de l’événement abordé ni le temps de creuser le sujet (le blog est une activité amateure).

4. Cependant, ce regard venu en contre-champ produit parfois de belles surprises. Je suis souvent très étonné par la qualité des posts que je parcours. Nier le fait que le vulgum pecus n’ait pas les capacités intellectuelles de « juger » l’actualité révèle un étonnant poujadisme intellectuel de la part d’une caste qui se sent peut-être menacée et affiche un drôle de complexe obsidional.

5. Etre journaliste ne relève pas d’une certification. Il y a certes des écoles, elles tracent une voie royale dont je ne nie pas la nécessité. Il vaut mieux avoir fait Sciences-Po puis une école de journalisme pour espérer décrocher les rares places disponibles sur un marché du recrutement anorexique. Mais, toujours avec la petite expérience qui est la mienne, je crois très sincèrement que la curiosité prime sur la capacité d’expertise. Ce métier de passeur m’a appris une seule chose : les questions les plus bêtes sont toujours les meilleures car elles ont de fortes chances d’être celles que se posent les lecteurs. Se décentrer, voilà le substrat du journalisme.

Que la profession, donc, ne se fasse pas trop de soucis. Elle dispose d’un nombre important de journalistes de grand talent, peut-être un peu trop révérencieux mais la lecture d’une revue de presse complète confirme cette impression. Le blog relève d’une partie de campagne de journalistes en herbe, d’anciens journalistes qui veulent combattre efficacement leurs aigreurs, de poètes talentueux, d’écrivaillons osés, etc. J’y vois plus une créativité encourageante qu’une menace sur une profession aujourd’hui si tétanisée devant son avenir qu’elle en devient paranoïaque.

Read Full Post »

http://www.jacquesmarseille.frLongtemps accusée d’angélisme, la gauche a notablement évolué sur sa manière d’appréhender le vécu des Français. Elle sait aujourd’hui que l’insécurité est un agent actif de désaffiliation sociale ; elle a intégré que l’entreprise était l’indépassable allié d’une société apaisée ; elle a à peu près cerné le fait que la mise en place des solidarités actives au sein d’une société est le grand défi des prochaines législatures.

L’Etat protecteur est un savoir-faire français. Mais cet Etat est en crise pour la simple et bonne raison qu’il est, par essence, mouvant. Les Français de gauche, notion délicate à manier tant les sociotypies sont désormais branlantes, ont préféré le pacte crédible offert par un homme de droite. Pourquoi ? Nicolas Sarkozy est parti d’un constat simple : les Français ne souhaitent plus qu’on leur raconte n’importe quoi. Nous avons tous en tête le champ de l’ancien ministre de l’Intérieur en train de sermonner « la racaille » des cités. Qui était dans le contre-champ ? Une femme exaspérée. Nous sommes tous au regret de constater que la « racaille » existe dans les cités sensibles. Et pour être tout à fait honnête, j’ai souvent entendu des acteurs de terrain, issus des minorités visibles, tout aussi exaspérés, employer des mots beaucoup plus durs que Nicolas Sarkozy sur le sujet. Nous devons cette vérité à l’honnêteté du débat.

Mais la présence rongeante de cette « racaille » n’est pas en soi le problème principal. La difficulté est qu’elle règne en maître sur des quartiers où les référents économiques, associatifs, civiques et culturels ont déserté. Cette désertion en rase campagne est l’échec le plus symbolique de la gauche. Là où elle détient les pouvoirs locaux, elle n’a pas su se défaire de la logique de guichet destructrice de la politique de la ville, elle n’a pas su instiller de l’excellence politique pour qu’aux diagnostics de terrain les plus affinés correspondent des politiques d’une précision chirurgicale.

On ne cesse de dire et de répéter que la politique de la ville relève de la fine broderie. Les agents de l’Etat et des collectivités territoriales doivent être les représentants syndicaux d’un projet de vie validé par les habitants. La politique de la ville n’est crédible qu’à partir du moment où convergent les bonnes volontés de terrain et l’accompagnement humain et financier des pouvoirs publics. Si ce lien se distend, c’est l’ensemble de l’édifice qui s’écroule.

Comment vivent les 6 millions de Français parqués dans les cités sensibles ? Ils sont confrontés à un chômage récurrent, confrontés à l’inutilité sociale ; ils se marrent quand ils entendent dire qu’ils se vautrent dans l’assistanat alors que la moindre étincelle collective portée par un projet unifiant déclenche chez eux une soif de citoyenneté, de partage, de grégarisme.

Ces Français sont confrontés au mal de la délinquance des mineurs, « leurs » mineurs, « leurs » enfants. Et ils se marrent quand on les menace de supprimer leurs allocations familiales, comme si une telle mesure, d’une monstrueuse bêtise, allait activer une reprise en main éducative. Longtemps, ces parents se sont battus pour éviter le pire. Mais la drogue, la vie facile ont balayé leurs discours sur la prime accordée au mérite personnel. Pourquoi ? Parce que le père, perclus de rhumatismes, qui a tout donné à l’effort industriel de la nation, noie sa tristesse au bistrot et râle contre un système qui l’a mené au désespoir. Misérabilisme de situation ? Aller boire un petit café dans les derniers bars ouverts dans les cités sensibles, c’est très éclairant sur la perte de l’exemplarité paternelle.

Face à l’impuissance des pouvoirs publics, face à la démobilisation des acteurs associatifs, face à la désertion des femmes et hommes de culture, face au découragement organisé de l’audace, face aux dégâts causés par la désindustrialisation de la France, les cités ont renforcé leur décrochage. Les Français ont érigé des murs invisibles entre eux. Les uns ne vont plus là où les autres, incarnant une menace, vivent. Qui ne s’est pas dit, une fois dans sa vie, « comment font-ils pour vivre là » ? Qui ?

C’est sur ce terrain que la gauche a perdu la dernière élection présidentielle.

Oui, c’est l’emploi du mot « racaille » qui a permis à Nicolas Sarkozy d’être élu. Pourquoi ? La gauche aurait du promouvoir l’idée de la mise en place, dans tous les quartiers prioritaires, d’agence de cohésion sociale de proximité (logement, éducation, insécurité, etc). A la tête de l’agence, l’élite de l’Etat, pas un petit sous-préfet mal dégrossi et n’avançant qu’avec le Code général des collectivités en main comme référence absolue. Non, une femme ou un homme investi de la mission de « dégadgétiser » la politique de la ville. Son rôle ? De l’anti-tapisme permanent ; identification des dysfonctionnements dans la création d’une dynamique vertueuse de terrain ; mise en place de programmes de développement économique dits de micro-activités en lien avec les chambres de commerce et les représentants du patronat (commerces de proximité mais aussi entreprises de service à la personne) ; alerte sur les progressions d’insécurité sur le terrain avec renfort immédiat de personnel mobile (policiers et éducateurs de rue) ; réinscription de grands projets culturels et éducatifs de terrain. Le « patron » du territoire sera sommé de venir rendre des comptes sur son bilan, devant la population et les responsables politiques. En situation de mission, tout échec ou bilan mitigé entraînera sa destitution immédiate (la patience des cités a des limites). Mais, face à la difficulté de la tâche, il pourra exercer sa propre défense en pointant les errances administratives de l’Etat et des collectivités territoriales. Les pouvoirs publics doivent passer d’une politique d’affichage, de saupoudrage, à une démarche dynamique sanctionnée de succès visibles et renouvelée en permanence.

Ainsi soumises à un harcèlement permanent positif des pouvoirs publics, les cités se régénèreront de l’intérieur. Car il faut d’abord réactiver la confiance de ces femmes et de ces hommes montrés depuis trente ans comme des rebuts.

Bien sûr, il est facile, d’un petit blog bien chiadé, d’asséner des « faut que » et des « y’a qu’à ». Je l’entends. Mais qui pourra contester l’idée que l’absence d’autorité des pouvoirs publics dans les cités est la cause essentielle de leur perte ? Qui pourra contester qu’une femme ou un homme habité du sens de l’Etat, déterminé sur les objectifs à atteindre, libre de dire, d’accuser, de bafouer ce ridicule devoir de réserve de la fonction publique, ne se projetterait pas dans un tel projet avec une foi décuplée ? Dans les cités sensibles, il faut des soldats de la cause républicaine perdue. Des pitbulls chargés de pointer un doigt accusateur sur les défaillances sans risque d’être abattus par le chef de service et affichant en permanence le chemin à suivre pour rendre la vie meilleure. La translucidité inouïe de la gauche sur ce terrain a donc entraîné la défaite de Ségolène Royal. Parce que le réformisme de gauche ne doit plus seulement puiser son essence dans les mots valises de la vacuité rabâchée mais sur le terrain des possibles.

Read Full Post »

http://www.medef.frLors de l’université d’été du parti socialiste en 2006, Lionel Jospin, ancien Premier ministre, aujourd’hui voué aux gémonies, définissait un cadre d’avenir pour le Parti socialiste : « Nous sommes de la longue lignée des socialistes réformistes. Réformer, c’est corriger, c’est changer en mieux. Mais que doit-on corriger et où est le mieux ? »

A cette question, aucune réponse n’a été apportée aujourd’hui. Le Parti socialiste se fait déborder de toutes parts par un Nicolas Sarkozy adepte de la triangulation (chasser sur des terres supposées ennemies…). En amputant une grande partie des thèmes de gauche, il rend un service utile au Parti socialiste : la nécessité de l’explosion, du grand big-bang refondateur et restructurant.

Je lance ici un appel aux Manuel Valls, Malek Boutih, Vincent Peillon et autres pour qu’ils s’émancipent définitivement d’un parti qui a atteint un tel niveau de décrépitude qu’il se réjouit d’un ressac rose aussi illusoire que fragile. J’ai beaucoup d’admiration pour Aurélie Filepetti dont j’ai apprécié les livres. Mais, à l’entendre dimanche soir dans l’émission Ripostes de Serge Moati, j’étais prêt à lui envoyer une bouée pour éviter qu’elle ne se noie dans l’indescriptible fragilité des propositions socialistes. Elle n’est pas en cause mais elle incarnait, à ce moment précis, ce qu’est aujourd’hui le PS : un mouvement translucide, de riposte, sur la défensive.

Je fais le pari qu’aucun habitant de ce pays ne serait en mesure de citer trois propositions claires du PS pour améliorer leur quotidien (une seule, d’ailleurs, ce serait bien). Et quand j’entends que Ségolène Royal n’a porté qu’avec des pincettes la proposition d’un Smic à 1 500 euros brut, parce que la proposition tenait de l’insulte à l’intelligence, je me dis que le grand guignol a été atteint, surpassé même. J’attends deux à trois choses du PS rénové :

1. Qu’il tourne le dos une bonne fois pour toutes avec la gauche messianique, autrement appelée radicale, dont certaines idées sont justes mais immédiatement plombées par l’irréalisme d’autres qui suivent. La gauche radicale veut la révolution. Elle se produira, peut-être, un jour mais sans les grandes entreprises qui auront pris le large depuis fort longtemps.

2. Que les rénovateurs sincères se réunissent dans une structure nouvelle, en acceptant l’idée de ne pas être élus dans les prochaines années. La machinerie socialo-étatiste leur barrera le chemin pendant quelques temps mais la force d’inventivité des rénovateurs débordera les chefferies locales et les officines pachydermiques plus rapidement qu’on ne l’imagine. Le PS n’a pas le monopole du socialisme rénové.

3. Que les rénovateurs enhardis mettent en face de chaque réalité sociale des mots ancrés dans le réel pour y faire figurer des programmes adaptés aux défis du siècle. Que la pédagogie reprenne ses droits, expurgée de tous les mots valises à la con, teintés d’un égalitarisme auquel même les plus pauvres ne croient plus.

Pour retrouver le chemin de l’efficience, le PS actuel doit déposer le bilan et laisse place à cette jeunesse déconnectée de tous les tabous qui font du PS français un lieu de germination de toutes les schizophrénies.

Read Full Post »

http://www.rfi.frUn lecteur attentif de ce blog –qu’il en soit remercié- m’interroge sur la satisfaction que j’éprouve et que j’entends partager avec d’autres d’un gouvernement où les femmes et les minorités visibles trouvent enfin une représentation en harmonie avec la place qu’elles occupent dans la société.

Mon féminisme s’origine dans l’absurdité archaïque d’une représentation politique otage d’un système de renouvellement inadapté aux exigences de la société. Il va de soi qu’une Fadela Amara me paraît mieux à même de trouver des solutions aux problèmes récurrents des banlieues qu’un énarque dont je ne préjuge pas les qualités mais dont le corpus intellectuel n’est pas adapté à la perception d’un monde hypersensible que l’étrécissement du vivre ensemble éloigne de plus en plus de l’analyse.

Nous devons revenir à la base du politique. Le politique est un lieu d’impulsion de projets, de captation des réalités vécues que l’administration d’Etat, dans son extrême complexité, doit intégrer à des fins de résolution. Tant que ce trajet vertueux de l’acte politique demeurera, l’espoir de changer la vie persistera. Le fatalisme est un cancer de notre démocratie. Les parties de la civilisation qui renoncent à l’exercice de leur liberté trouvent généralement dans l’enfermement communautaire et la violence frustrée envers l’autre, cet ennemi total aux contours informes, le seul exutoire à leur délaissement.

La société française est riche de ses diversités ; il s’agit d’une banalité rousseauiste, penseront certains. Mais le rappel de cette évidence ramène toujours au même constat : cette diversité ne reste qu’une statistique formelle tant qu’elle ne trouve pas, au plus haut niveau de l’Etat, sa concrétisation. Le recours à une forme stupide de quotas ne fait que pointer la pusillanimité de nos gouvernants jusqu’à ce jour, apeurés à l’idée de promouvoir l’excellence de composantes sociales dont l’empressement qu’ils mettent à dénoncer la stigmatisation manque à l’évidence d’authenticité.

Oui, bravo, six fois bravo, à Nicolas Sarkozy d’avoir su faire marier la France telle qu’elle est avec la France gouvernante. Ce courage, à l’heure où il se déploie, fustige la lâcheté de la gauche, obnubilée par la peur de voir une telle ouverture renforcer l’impact du Front national.

Pour l’heure, bien sûr, il ne s’agit là que d’une photo officielle. Et le rôle des femmes des minorités visibles consistera justement à ne pas se laisser enfermer dans la gadgétisation du symbole qu’elles portent, malgré elles. Pour Rachida Dati, le problème est réglé : un Garde des Sceaux n’a pas vocation à faire de la figuration dans un gouvernement. Pour Rama Yade et Fadela Amara, le pari est plus risqué : il faudra être ferme face à cette main tendue… La bonne santé d’une démocratie se mesure à l’aune de l’harmonie effective de sa représentation.

Il ne manque plus à Nicolas Sarkozy qu’à déployer une plus grande voilure proportionnelle pour traduire le souhait des Français d’une représentation politique équilibrée à tous les niveaux de l’action publique pour que la boucle soit bouclée. De pratiquer l’ouverture qu’il a affichée dans la constitution de son gouvernement à tous les niveaux pour que la voix du peuple, par bonheur multiforme, soit prise en compte ; pour que la démocratie ne se résume pas à un gagnant omnipotent et à un battu accablé lorsque l’on sait que le choix du pays se joue à quelques centaines de milliers de voix près. La réforme de nos institutions passe par ce plus grand ajustement entre les désirs d’un peuple et les modalités de leur mise en œuvre.

Read Full Post »

jcdurbant.blog.lemonde.frNicolas Sarkozy ressent-il une certaine fascination face à la gauche, ou, en tout cas, face à cette partie de la gauche qu’il a décidé d’intégrer dans « son » gouvernement ? A l’évidence, oui.

Jacques Attali, ami de vingt-cinq ans du nouveau Président, confie à quel point ce dernier était admiratif de François Mitterrand. Nicolas Sarkozy aime cette gauche dont l’audace réformatrice peine à s’affranchir du surmoi marxiste.

Les querelles paralysantes à gauche lui ouvre un champ d’exploration sans fin. Enferrée dans des batailles moyenâgeuses sur la définition de son projet pour les vingt ans à venir, empesée par le poids des baronnies locales, vieux reste de l’artificiel dogme démocratique du choix militant (le poids des cartes), prise de vitesse par la modernité sociétale de Nicolas Sarkozy, n’hésitant pas à donner une réelle visibilité à la France telle qu’elle est, la gauche socialiste risque de causer de nouvelles désillusions dans les prochains mois tant qu’un discours fondateur, déclic, ne produira pas le même effet mobilisateur que les gages donnés par Nicolas Sarkozy à la performativité de cette diversité.

Dans son for intérieur, Nicolas Sarkozy sait que le réformisme de gauche est soluble dans un programme qui ne renierait pas ses fondations libérales. Pour lui, l’opposition droite-gauche est en phase de disparition. Sur les principaux sujets de société, des convergences se dégagent, au-delà même des discours qui peuvent crisper les oppositions.

Cette voie étroite, choisie contre son propre camp, dont certains manifestent une sonore mauvaise humeur, est celle de la triangulation : aller chercher chez son adversaire des idées et des personnalités pour les incarner qui ne modifient en rien le socle du projet présidentiel (il suffit de comparer les programmes présidentiels pour identifier de nombreux consensus sur de nombreux sujets).

Il ne s’agit pas de cautionner le débat tendant à prouver que la droite et la gauche disent la même chose. Mais plutôt de démontrer que la réussite d’une politique ne passe pas par l’opposition entre deux camps. Nicolas Sarkozy mise sur le pari suivant : les Français ne sont plus attachés à la sacralité de l’opposition politique et pressentent intuitivement qu’une politique centripète est plus efficace qu’un enfermement idéologique.

Read Full Post »

guy4you.bleublog.chLe rebond qualitatif de la gauche au deuxième tour de l’élection législative comporte le risque de différer l’examen de conscience qui s’impose au vu notamment de cette réalité qui n’aura échappé à personne : la droite a bel et bien gagné.

Il ne s’agit pas de jouer les « casseurs » d’ambiance mais de fixer le paysage tel qu’il est. Ce retour au réel s’inscrit dans la continuité d’une démarche méthodologique : pour redevenir un parti en capacité d’incarner une alternative, tant locale que nationale, le Parti socialiste doit faire l’effort douloureux d’examiner les raisons de son échec. Cette démarche réclame une certaine dose de courage car elle risque d’appuyer sur des points douloureux.

Les observateurs les plus avisés ont insisté jusqu’à satiété sur l’absence d’un discours porteur des valeurs de la gauche. Cette critique est injuste sur le fond (le pacte présidentiel de Ségolène Royal comportait à l’évidence des éléments de révolution sociétale) mais juste sur la forme : plus que jamais, le temps hypermédiatique valorise le dire politique en circonscrivant l’agir politique.

Il faut s’interroger sur deux segments simples du débat cathodique surexposé tel qu’il s’est déroulé : Nicolas Sarkozy a réussi à capter les attentes du peuple français sur une revalorisation du travail (mécanisation du principe de la méritocratie, très en vogue dans un pays scindé entre les gagnants des 35 heures et les perdants de la mondialisation) et sur un travail de sape visant à démonétiser le principe de réalité tel que la gauche le conçoit.

Il a réussi la performance de faire passer la gauche pour l’incarnation d’un conservatisme forcément dangereux dans un monde dont la France semble ne pas détenir les clés des mutations rapides qui s’y déroulent. Les Français ont considéré que le discours musclé, réparateur de Nicolas Sarkozy était mieux à même d’opérer le déclic qu’ils attendent.

Dans un contexte où le modèle social français est caricaturé, désigné comme le mal absolu alors que les Français bénéficient à l’évidence des services publics les plus performants au monde (voir le film de Michaël Moore, Sicko, sur le système de santé des Etats-Unis), l’opinion a souhaité faire un pas en avant en espérant une déconstruction habile dudit modèle.

Cette confiance accordée au Président de la République procède d’un malentendu : ce vieux modèle raillé, dont il est de bon ton de fustiger les défaillances, fait l’objet d’une véritable vénération des classes populaires et moyennes. C’est notre totem commun. La France n’est pas l’Allemagne ou encore le Royaume-Uni. Les populations de ces deux pays sont prêtes à faire des sacrifices (augmentation de la TVA de trois points en Allemagne, conditions drastiques imposées aux chômeurs au Royaume-Uni pour retrouver vaille que vaille un emploi) que les Français n’accepteraient pour rien au monde.

L’irréformabilité de la France relève de l’aporie (difficulté insurmontable) : notre pays n’accepte pas de perdre pour espérer gagner plus. Elle tient à sa protection sociale. Elle chérit son tryptique républicain « Liberté, égalité, fraternité » comme les Turcs chérissent leur laïcité. Les Français donnent mission à nos gouvernants de trouver une position médiane entre un Etat protecteur et la mise en place des conditions pour enclencher le cercle vertueux de l’entreprise France.

Comment ? Beaucoup d’experts pourraient jeter l’éponge face à ce défi hymalayen. La seule voie qui me paraît pertinente passe par la réconciliation entre les corps intermédiaires (syndicats, associations, partis…) et les gouvernants afin de dénicher, dans un dialogue permanent, les solutions d’une équation gagnant-gagnant. J’ai la conviction que ce chemin, forcément tortueux tant les blessures, les anathématisations subies ou échangées d’un camp à l’autre relèvent du sport national, peut entraîner d’heureuses surprises.

Prenons le cas du port de Marseille. Je suis convaincu que les esprits sont mûrs pour que des personnalités transfrontières puissent prendre le temps de concilier deux discours perclus de formules à l’emporte pièce, trop fortement pollués par des items claquemurés, opposition entre « sauvegarde du service public » et « renforcement de la compétitivité économique du port ». Pourquoi ces deux pôles resteraient-ils inconciliables ? N’existeraient-ils pas une ou deux convergences entre patronat et syndicats à partir desquelles le commencement d’un cheminement pourrait poindre ?

Autre exemple : la réforme ou la suppression de la carte scolaire. La priorité ne devrait-elle pas aller vers une refonte des modalités de carrière d’un professeur pour éviter que les plus expérimentés soient affectés dans des lycées prestigieux alors que les débutants se trouvent souvent dépassés dans des contextes difficiles et lourds ? Pourquoi ne pas généraliser certaines méthodes pédagogiques qui ont montré leur efficacité dans les zones sensibles ? Pourquoi ne pas donner plus d’autonomie à ces professeurs inventifs, dont il faut valoriser l’envie de contourner le désastre que représente l’échec scolaire pour un enfant ? Comment amortir le choc de la désafiliation sociale dans les établissements scolaires forcément exposés à des fragilités sociales plus grandes (elles sont a priori plus vives lorsque le chômage et l’oisiveté dominent que lorsque la stabilité financière et familiale est assurée) ?

Le temps des pratiques administratives est à l’audace. Il faut donner mandat aux plus inventifs d’aller au bout de leur réformisme plutôt que d’accepter un statu quo figeant les rancœurs et les échecs dans la durée. C’est sur ce terrain de l’inventivité progressiste qu’il faudra avancer pour que la gauche redevienne crédible auprès des Français dans une période de maturité civique et démocratique très forte.

Ces derniers ne sont pas aquoibonnistes. Ils veulent s’engouer pour des solutions crédibles, issues d’une analyse contradictoire de la réalité, où les fausses-bonnes solutions seront ramenées au simple témoignage d’une fidélité hériditaire.

Les Français sont désireux de discours effectifs. Ce constat imposera à la gauche une révolution interne, tant dans la rénovation de son discours que dans ses pratiques.

Read Full Post »

http://conservativehome.blogs.com/torydiary/images/sarkozy_1.jpgSans être atteint ni de sarkophobie primaire, ni de sarkophilie douteuse, il est intéressant d’apprécier la manière avec laquelle Nicolas Sarkozy a occupé le champ des attentes et surtout des frustrations du « peuple de gauche », si cette étiquette signifie encore quelque chose.

Lorsqu’il appelle de ses vœux la liquidation de « l’esprit mai 68 », il ne ravit pas seulement les bourgeois rétifs aux bouleversements sociétaux. C’est plus subtil qu’on ne l’imagine : il s’adresse directement à la masse informe de cette gauche progressiste qui a réellement cru que l’après mai 68 marquerait une saine et positive transformation des mœurs, des rapports à l’autorité, de la prise en compte des spécificités de l’enfant… Cette marche en avant a eu pour conséquence l’affirmation d’une autonomie individuelle dont la croissance exponentielle des divorces est sans doute le marqueur le plus révélateur.

Cette nouvelle liberté, le fait en effet de s’émanciper d’une vie subie apparaît comme une conquête sociale, a étrangement pris une direction dramatique puisque l’on parle aujourd’hui de familles monoparentales, de pères seuls dormant dans leur voiture, d’impossibilité à faire fonctionner les familles recomposées, entraînant ainsi de fait une nouvelle configuration pathologique du vivre ensemble, avec une « déritualisation » de la geste familiale, que l’on peut moquer en colloque pour faire son beau intello mais qui, du Nord Pas de Calais à Marseille, de Nice à Angers, forme comme un socle commun, un lieu d’accompagnement unique de la vie de nos ados.

La libération du carcan familial a entraîné l’implosion des repères, même empoussiérés, qui faisaient de ce lieu l’aire d’impulsion de la transmission du pacte civique. Je vois autour de moi des tas d’adolescents frappés par ce qui vive des fondations. Les enfants sont plus des copains que des petits êtres en cours d’achèvement dont il faut aiguiser le sens critique, l’envie de citoyenneté.

La double conjonction des familles implosées et des familles qui ne se recomposent pas (trop de hiatus demeurent dans une séparation, on a oublié la férocité traumatique d’un divorce pour un enfant) débouche donc sur un tissu social effrangé, où les enfants rois ont pris la main, non par tyrannie malveillante mais par remords parental. Et Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, que j’ai eu le bonheur d’interviewer il y a peu, m’expliquait très justement que la reconnaissance sociale des démunis passe par la possession de Play Station 3 ou la location d’un mobil-home dans le Vercors, quitte à se saigner à blanc, à emprunter avec des taux d’intérêts à 18 %, comme s’il fallait éponger les saignements du contrecoup de la liberté chérie contenue dans le choix de sa nouvelle autonomie sociale.

Je vois autour de moi des familles culpabilisées. Attention, je ne veux pas faire mon vieux schnock en cours de sarkozysation rampante (je suis mithridatisé). Je rappelle tout simplement que la société se fonde sur des repères qui ont subi ces dernières années de violentes remises en cause et dont nous n’avons pas su pressentir les retombées néfastes sur des enfants sommés de s’adapter à l’inadaptable, à savoir la prise de distance autonome des seules autorités affectives et effectives autour desquelles ils se construisent, le père et la mère.

En accusant mai 68 pour d’autres raisons, pour renforcer la culpabilité de la gauche, pour dénoncer les limites de son réformisme et sa tentation séculaire de laxisme, Nicolas Sarkozy a aussi voulu s’adresser à toutes ces personnes dont la liberté sociale chèrement acquise a entraîné le délitement progressif de cette vieille et pataude notion familiale que rien ne remplace, qu’on le veuille ou non.

Read Full Post »

http://blpwebzine.blogs.com/nuesweb/images/google.jpgDouze millions de blogueurs en France (quand je vérifie l’orthographe sur word, le dico me propose « blagueurs »). Mon fils aîné en a trois. Le plus petit, cinq. Moi, un. Un Français sur cinq. En excluant les seniors en maison de retraite (ma grand-mère ne connaîtra pas le doux vertige narcissique d’internet). Des Français actifs, dirons-nous. Enfin, actifs ? !

Je vois beaucoup dans cette adhésion napoléonienne une violente décharge d’égotisme mal contenue, une bouteille facile jetée à la mer. La lecture des blogs est touchante : toutes ces petites mains qui s’activent (comme moi en ce moment) pour transmettre un petit poème, un clin d’œil maternel, une analyses poussée des résultats électoraux du canton…

Vertige d’existence des ratés, des oubliés, des petits journalistes pas reconnus, des grands journalistes pas compris, des écrivassiers en devenir, des noblaillons mortifiés… Et surtout, suprême auto-flagellation, les grands de ce monde, intellos, sportifs, journalistes, écrivains, artistes, qui condescendent à livrer quelques confidences dans leur journée bien chargée au vulgum pecus, ne s’attardant pas sur la forme débraillée du style, s’offrant l’ivresse d’un parler vrai avant de retrouver la noblesse de la publication universitaire, avec ses rites, ses encodages, ses paralysies.

La blogosphère est un immense défouloir, une grande soirée mondaine où les ceux qui ne savent rien parlent sur un ton péremptoire et les ceux qui savent regardent nerveusement la montre en se demandant quand le calvaire s’achèvera. La blogosphère est une foire d’empoigne de CV sans cible. Une esthétique de décontenance. Un marmitage de dazibao que seul le hasard révèlera.

Et surtout, point d’orgue émétique, la reconnaissance d’un blog tient à son référencement. Je suis tombé sur un type marrant hier en pénétrant le trou noir de l’hystérie blogosphérique. Meilleur blog politique 2007, avait-il référencé. Il s’était auto-attribué le titre. Comment ? En votant pour lui-même… Le blog est une auto-désignation narcissique.

Douze millions de blagueurs, douze millions de déjantés, d’illusionnés, d’affamés du clic, de disponibilités mentales à recevoir le télévangélisme sarkozyste, cet individualisme militant… Le rêve du blagueur, c’est de sauter la référence universitaire (la seule qui vaille) pour s’arrimer à la référence du nombre.

Et pourtant, tiens, je clique, un post de plus pour la route, et demain matin, j’irai me soûler de certitudes en scrutant les statistiques de la veille. Mépris de soi, mise à nu des quotidiennetés délitescentes, tribalisation de l’infra-ordinaire (Georges Pérec). Croire en soi, comme le conseillent les sites psycho des magazines de pouffes ou de vertébrés anencéphaliques adeptes du tuning, c’est se ridiculiser dans un grand rituel collectif.

Read Full Post »

http://www.grainesdechangement.com/images/MartinHirsch.jpg

Monsieur Hirsch, vous voilà Haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. La lutte contre la pauvreté est une urgence. Je vous suppose à gauche. Mais le traitement de la pauvreté ne peut se caler sur les alternatives des temps politiques. Et si vous réussissez dans votre domaine, les pauvres se foutront bien de savoir si le président de la république qui vous aura accordé sa confiance est de gauche ou de droite.

J’ai lu et relu nombreuses de vos analyses et interviews. Je suis convaincu que vous êtes l’homme idoine pour relever ce défi. En attendant que la gauche se refasse une santé, je vous souhaite la plus grande réussite. Si les projets politiques sont de droite ou de gauche, le service de l’Etat n’a pas de frontières.

Read Full Post »

http://www.mjsaquitaine.jeunesse-sports.gouv.fr

Cher ami,

Toi qui vit en Afrique, qui ressent au quotidien les effets du hachoir libéral, qui sait les conséquences crues de l’organisation du commerce international, tu me demandes de te donner mon sentiment sur l’élection présidentielle. Je ne suis pas un expert mais cela tombe plutôt bien : la mode est à la démagogie anti-expertise, l’expertise étant accusée de ne fournir qu’une vision tronquée des faits, in-humaines (j’insiste sur la césure).

Le grand frisson démocratique, de ce côté-là de la Méditerranée, c’est de sonder cette zone grise entre les faits, dont la scientificité est toujours plus remise en cause, et le ressenti d’en bas. L’exercice comporte de grands avantages et de réels risques : à force de nier la réalité (je viens de lire une étude sérieuse attestant que les aides publiques accordées aux entreprises du Cac 40 sont minimes et que les aides en question soutiennent déjà, abondamment, les petites et moyennes entreprises), on se détourne de la nécessité d’œuvrer avec pédagogie envers les citoyens. La nourriture pédagogique est une diététique démocratique : controuver la réalité encourage toutes les transgressions radicales.

La France est un pays habité par une foi révolutionnaire. Elle goûte peu aux discours sur la méritocratie et considère que les laissés-pour-compte ne seront jamais comptables de leur décrochage. Rien à voir avec l’état d’esprit anglo-saxon où les bonnes statistiques économiques masquent généralement les deltas vertigineux entre les revenus des uns ou des autres. La France n’épousera jamais les contours libéraux du marche ou crève bushien. La France ne sera jamais complètement fascinée par le modèle blairiste. Et les quelques décimales de croissance que nous perdons dans les confrontations dialectiques sur le modèle social s’arriment à ce patrimoine révolutionnaire : en France, le discours sur les inégalités ne fait jamais l’objet d’un solde pour tout compte.

De loin, ce pays peut paraître ployer sous de pondéreux paradoxes. Il dit non au référendum et s’apprête à élire pour le candidat le plus libéral sur la gamme des propositions d’avenir. A l’analyse, cette attitude relève de la logique : Sarkozy a instillé un peu de bushisme protectionniste dans son propos. Lorsqu’il indique que la Slovénie a purement et simplement supprimé l’impôt sur les sociétés (la Slovénie est un des 27 membres de l’Union européenne), il précise que Bruxelles n’est plus crédible pour venir lui chercher des poux dans sa volonté de disposer d’une certaine latitude fiscale (notamment sur la réduction de la TVA à 5,5 % sur les métiers de la restauration et de l’hôtellerie).

Bref, ce libéralisme qui effraie tant la France de gauche conserve une liaison forte avec la France qui se lève tôt, en flattant sa valeur et en laissant supposer que l’autre France, qui se couche tard, est irresponsable. Dans chaque corpus idéologique, il y a une petite porte d’entrée pour chacun. Mais ici, chaque débat est à examiner sous toutes les coutures. En tant que journaliste, j’ai eu le plaisir de discuter avec Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Il y a quelques semaines, ce dernier redoutait que la campagne électorale hexagonale ne tourne à la stigmatisation des assistés.

Le phénomène ne s’est pas produit, fort heureusement. Car, là aussi, la réalité n’est pas aussi simpliste que le débat aimerait le poser : les resquilleurs de l’Etat providence ne sont pas aussi nombreux que le café de commerce ne l’atteste… Pourquoi ? Parce que les Rmistes, pour ne prendre qu’eux, sont à 80 % demandeurs d’une activité professionnelle, même si cette dernière ne leur permet d’atteindre le même niveau de « rémunération artificielle » que celui atteint par les nombreuses aides publiques.

La France est un pays extraordinaire de 64 millions d’habitants qui croit romantiquement aux vertus du consensus. Ce dépassement consensuel est porté par François Bayrou. La culture de la confrontation idéologique a enkysté le pays. Il lui manque de l’huile entre les rouages. On peut multiplier les exemples. Deux mondes se haïssent profondément : celui de la formation professionnelle et de l’éducation nationale. Le premier loue la recherche d’une plus juste adéquation entre les besoins du monde du travail et les formations adaptées ; l’autre considère que cet adéquationnisme comporte des risques de pervertissement (le temps de la mise en place de la dite adéquation étant trop long par rapport aux mutations réclamées par le monde du travail).

Dans ce contexte est apparu un ovni : Ségolène Royal. Gagnera-t-elle ? Les sondages disent que non. Mais cette femme étonnante, accusée de tous les maux, parfois maladroite, a un réel don intuitif. En l’espace de deux ans (2005-2007), elle a ringardisé le Parti socialiste, lieu de synthèses improbables, où la mauvaise foi la dispute à l’irréalisme mal feint. Tous les sondages, qualitatifs ou quantitatifs, la placent généralement derrière Nicolas Sarkozy, animal politique, déroulant des argumentaires fortement empathiques.

Que dit-elle ? La France a des ressources, la France est en quête d’équilibres, la France a besoin d’apaisement. Tout le monde gagnera (donnant-donnant) et si un seul groupe social perd, c’est tout le monde qui sera entraîné vers le bas. Un joyau harmonique que Sarkozy n’a pas encore perçu et qui risque de lui péter à la gueule (mille excuses pour l’expression triviale) au soir de son débat avec Ségolène.

Nicolas Sarkozy souffre d’un complexe de supériorité : il ne doute pas, c’est ce qui fait sa force. Mais cette trop belle assurance est anxiogène. Pis encore : elle le déshumanise. Sa force de frappe dialectique emprunte au détail (la petite fille du gendarme tué qui lui demande de sortir son papa de la boîte, fait éminemment triste, dont il laisse entendre qu’avec lui, ministre de l’Intérieur au moment où le gendarme en question est scandaleusement entré dans la boîte, il n’y aura plus de moments de tristesse aussi forts). C’est l’art du sophisme : tirer toujours profit des situations les plus périlleuses, ne jamais céder à l’autocritique, laisser toujours entendre que ce que l’on a fait échappe à ce que l’on est.

Enfin, sommet de la démarche sophistique, décrédibiliser l’adversaire, aller chercher la contradiction, la mettre en scène avec d’autant plus de facilité que l’on a réussi, dans l’esprit des gens, à s’exonérer d’un bilan que l’on a construit. « Rupture », dit Sarkozy. « Rupture » avec lui-même. Mais « rupture » sans autocritique, donc profonde et inquiétante pathologie mentale. Oui, je le concède, par honnêteté intellectuelle, il y a une fureur de diabolisation dans le camp d’en face. Mais Sarkozy gère mal cette entreprise. Il la nie, paraît plus clair dans la formulation d’éléments de programme, mais il ne peut se sortir des griffes de la contradiction sans griffer plus fort encore. Il ne refuse jamais le combat à mains nues. Il aime saigner et faire saigner. Il aime la bagarre.

Et au final, malgré lui, le verdict du deuxième tour se jouera sur un élément qu’il ne soupçonnait pas aussi prégnant : l’humanité de la future présidence de la République. La part de caricature que l’on brosse de lui, excessive comme toutes les caricatures, il y rentre dedans, comme un éléphant, si j’ose dire, dans un magasin de porcelaine.

Ségolène Royal aussi est caricaturée : incompétente, manque de carrure… Mais dans cette guerre des défauts, que choisiront les Français ? Le doute ou la certitude, le risque ou l’assurance, le participatif ou l’unilatéralité ? Ainsi va la France : elle préfèrera toujours les défauts de l’humanité aux certitudes du libéralisme ; elle voudra toujours croire à un monde meilleur qu’à un monde adapté aux circonstances d’une globalisation qu’elle ne supporte pas de maîtriser ; elle ne comprendra jamais les 8 millions d’euros de Forgeard, les nouvelles règles économiques ; elle sera toujours moquée pour sa balourdise économique et elle accompagnera toujours ses enfants dans le délicieux TGV qui les mènera au-delà des mers, vers ce Londres boursier décomplexé, vers les paradis fiscaux éhontés, vers l’Amérique où les gagnants le méritent et les pauvres n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes.

La France n’a pas inventé par hasard la Révolution. Elle ne se satisfera jamais du monde comme il va. Elle s’indignera toujours face à l’indignité humaine. On dit qu’elle râle ; elle est lucide. On se moque d’elle parce qu’elle croit aux utopies concrètes. Elle ne se satisfait jamais d’échouer. Quand elle gagne, elle veut gagner pour tous. C’est une rêveuse, dans un monde sans pitié pour les rêveurs. Vieux pays, interpellé de toutes parts par ceux qui ont cru en lui.

Voilà, cher ami, ma vision de cette France. En fait, cette France n’ose pas dire à quel point elle s’aime. Parce qu’elle est multiple. Parce que le sentiment amoureux est complexe. Haine et répulsion. Après avoir dit non à la soumission du pays, De Gaulle traitait les Français de « veaux ». Il a risqué sa vie pour un pays de « veaux ». C’est ça la France, cher ami, une épopée romantique…

Read Full Post »

Nicolas Sarkozy serait-il le Garincha du politique ? Cette ancienne étoile du football brésilien avait l’habitude de dérouter ses adversaires par ses dribbles chaloupés. Et le président de la République semble lui avoir emprunté cette vista. Car le paysage politique français d’aujourd’hui présente un air étrange, presque surréelle. Et, connaissant mon Sarko sur le bout des doigts, je suis sûr que le festival ne fait que commencer. Bien sûr, nous ne sommes qu’au début du quinquennat, avec ce doux air euphorique légèrement trompeur. Mais je crois qu’une nouvelle époque s’annonce, que l’on pourrait nommer la diversité assumée, mais l’expression ne me plaît guère.

Je ne sais pas si le président a déjà commenté la réaction de Martin Hirsh au sujet de la franchise sur le remboursement des premiers soins. Martin Hirsh avait très fermement condamné cette initiative. Aujourd’hui, il confirme. Martin Hirsh ne rêve pas de prébendes. Ne fait pas de la politique pour l’alimentaire. Il veut aboutir à la mise en place révolutionnaire du Revenu de Solidarité Active, qui consistera à ce que chaque reprise d’emploi se solde par un surplus salarial pour les personnes confrontées aux minima sociaux. Il est allé voir Sarkozy. Et ce dernier lui a dit : « OK, on n’y va, on le fait ». Quand un journaliste courageux demandera au président ce qu’il pense de la réaction de Hirsh à la franchise médicale, le président dira à peu près la chose suivante : « Vous savez, Martin Hirsh est un homme remarquable. Je souhaite qu’il réussisse dans son action et je lui donnerai tous les moyens pour qu’il y parvienne. C’est un homme indépendant et je respecte ses convictions personnelles.

Au nom de quoi (ah, les fameux « au nom de quoi » de Sarko) le fait qu’un homme de gauche soit en désaccord sur certains points avec mon action m’empêcherait de trouver avec lui d’autres terrains d’entente ? Je vous le dis, Monsieur Hirsh ne sera pas déçu de son passage dans le gouvernement de François Fillon ». Je l’imite bien, hein ?

Amis de gauche, orphelins d’une gauche moderne, nous qui avons brocardé pendant des années « la droite la plus nulle du monde », pour ne pas dire autre chose, nous voilà confrontés aux mêmes reproches… Parce que l’ensorcellement sarkozyste touche tout le monde : j’écoutais Bernard Marris à Ripostes hier soir, économiste de renom, l’un des rares alter mondialistes qui ne ferait pas fuir un patron cinq minutes après le début de la conversation, face à Alain Juppé, ministre d’Etat. Hallucinant ! ! ! ! Il y avait une complicité ubuesque entre les deux hommes ! Comme si l’inconscient collectif de gauche trouvait dans une droite décomplexée des raisons de fascination. Et le rôle du vrai contradicteur revenait au chafouin Eric Zemmour, journaliste au… Figaro, et dont les interventions sont toujours pertinentes.

Et on peut multiplier les exemples : j’aurais aimé être une mouche pour voir la tête des responsables des associations environnementales à la réunion de préparation du Grenelle sur le sujet ! Rien, même pas une critique un peu poussive d’un vieux porte-parole maniant la langue de bois en ébéniste expert ! Ah si, j’exagère : il y a eu la réaction des Verts, accusant « le Grenelle de dupes ». Wouah, génial les gars, l’espoir renaît.

Et Emmanuelle Mignon, la directrice de cabinet du Président, qui tente au quotidien de débaucher les membres de la République des Idées, en leur faisant passer ce message : « Le Président ne pose aucune conditions à vos ralliements. Vos idées seront mises en œuvre ». On dirait le pays de Oui-Oui ou l’Ile aux Enfants de ma jeunesse.

Ouuuuuuuuuu la gauche ! Ouuuuuu… où es-tu ? Un ami me disait récemment qu’il ne comprenait pas la royalphilie, qu’il considérait Ségolène Royal comme la plus mauvaise candidate du PS depuis 1969 et les 5 % de Gaston Defferre !

Cher ami, je vais te dire pourquoi j’ai autant aimé Ségolène Royal et que je l’aime peut-être plus encore aujourd’hui : je me demande comment elle a pu mener une telle campagne dans un tel état de désolation programmatique, dans un tel état d’impéritie du PS. Depuis le lendemain du deuxième tour, c’est courage fuyons à tous les étages ! On annone de grandes théories sur la fin du cycle d’Epinay dont la France entière se fout (c’est où Epinay, c’est quoi ?). Pas un seul responsable courageux du PS qui se lève et qui dise : on va dans le mur, à toute allure et on mettra dix ans pour récupérer du crash. Mais qu’importe les gars, hein ? Sarko recrute essentiellement à gauche, à l’américaine, il pique les cerveaux que vous avez laisser pourrir dans vos concélébrations congressistes avec des macchabées de luxe : Michel Rocard, Jacques Delors, Olivier Duhamel… Trop has been, les grands hommes, trop honteusement sociaux-démocrates !

Finalement, le seul qui me fasse sourire aujourd’hui, c’est François Bayrou et ses acrobaties sidérantes et intenables sur ses 7 millions de fans qui vont fondre au soleil de la dure réalité de nos institutions. Cruelles institutions mais justes institutions car personne ne veut d’un retour à la IVè République et à ses majorités ingouvernables et inconsistantes ! S’il existe un vrai refondateur au PS, qu’il se lève et qu’il marche. Il ne risquera rien puisque le Parti socialiste n’est plus qu’une armée à la dérive.

Moi, je ne suis rien, qu’un dispensateur d’énervements, mais j’en ai marre de voir la droite récupérer un Martin Hirsh dont le seul rêve était de venir en aide aux pauvres dans un gouvernement de gauche. Mais la route est bouchée de ce côté-là. Il a pris l’itinéraire bis. Les bénéficiaires potentiels des solidarités actives qu’il aura su mettre en place ne lui en voudront pas.

Read Full Post »

Chère Ségolène,

Je viens de discuter avec un petit élu du secteur, je reprends sa formule, et il a eu cette phrase pleine de bon sens : « Le pouvoir, on ne te le donne pas, tu le prends ». J’ai trouvé le propos d’une grande pertinence. Donc, voilà Ségolène, je te fais parvenir quelques conseils de stratégie de campagne que tu te dois impérativement d’appliquer si tu veux te sortir avantageusement de l’irrationnalité ambiante.

1. La mode démagogique actuelle est à l’antitout. Le Graal, c’est l’anti-système, le bayrouisme insultant, pénitent, magicien, démiurgique. Le vote pour l’invisibilité, pour une synthèse imprévisible, un rapprochement détonnant des contraires. Votez et vous verrez. Le vote chantage. Voilà une formule que je n’ai pas entendu dans votre bouche, « le chantage de Bayrou », la mise à l’encan du vote des Français, une adultération des choix démocratiques, la sublimation du non-choix, l’émerveillement infantilisant devant une synthèse impossible. J’imagine que votre staff doit bûcher d’arrache-pied sur cette improbabilité de l’avenir. Tiens, une idée, Ségolène : pourquoi Bayrou a-t-il un programme alors qu’il ne sait pas avec qui il va gouverner ? Etonnant, non, cette façon de prendre les gens pour des ruminants ?

2. Revenir aux raisons de votre succès de l’année 2006. Une détabouïsation d’un Parti socialiste abcédant dans ses difficultés de clarification de sa raison d’être. Vous l’avez compris, Laurent Fabius s’est fourvoyé avec son gauchissement stratégique et il faut que vous vous adossiez sur le talent de DSK pour affirmer une sociale-démocratie expurgée des scories du blairisme. Vous devez mieux incarner la modernité d’une gauche qui condamne le libéralisme échevelé sans remettre en cause l’économie de marché qui, quoi qu’il arrive, régentera les rapports entre les pays pour de nombreuses années.

3. Les Français votent aujourd’hui comme ils achètent la dernière Play Station pour le petit. Ils cherchent le meilleur rapport qualité-prix, aiment bien l’accueil qu’on leur réserve au magasin, culpabilisent un petit peu par rapport à leur lâcheté mais arrachent ici ou là quelques justifications morales à leur comportement. Il faut leur donner comme un supplément d’âme à leur déprise sociale. Cette élection est celle de la classe moyenne que les pauvres exaspèrent, qui en ont marre d’une insécurité dont ils subissent en premier les retombées, qui en ont marre d’être la variable d’ajustement permanente des politiques sociales, etc. La puissance de fragmentation de notre société se situe au cœur des doutes des classes moyennes, exaspérées par un modèle social qui ne se réforme pas, par un jeu politique figé sur ses postures habituelles.

4. Je comprends pour vous la difficulté de donner un grand coup de pied dans la fourmillière socialiste. Vous avez produit en 2006 quelques jolis figures de style d’un détachement aéré, tant espéré, de la dogmatitude socialiste (ne prenez pas ce dernier terme comme une critique, j’adore les néologismes qui ravivent la langue française). En fait, je crois que la France aime votre courage de 2006. L’ennui, c’est que l’élection a lieu dans un mois, en 2007 donc. Le piège partidaire se referme sur vous. J’imagine de là avec effroi tout ce que cela doit impliquer en termes de saloperies en tout genre au sein de votre formation, les petites écuries des courants minuscules qui réclament des rééquilibrages mortifères, la déploration lacrymale de ceux qui préfèrent perdre pour attendre le prochain tour. Ah, mon dieu, ce temps-là est fini, ma chère Ségolène, ils ne le savent pas, le temps est à la vérité, au regard fixé sur le monde tel qu’il est, à réformer à partir des désorientations dont il est affecté.

5. Je voterai pour vous, bien sûr, parce que j’ai bien aimé ce vent frais de rénovation que vous portiez. Si, par malheur, vous n’étiez pas au deuxième tour, la gauche radicale aura gagné et les électeurs de gauche seront encore plongés dans le non-choix, un non-choix plus terrible encore que celui du 21 avril 2002. La droite ou la droite et non plus la droite ou l’extrême droite ? Je n’ai jamais voté blanc mais là, j’y serai bien contraint, par respect pour mes propres convictions.

6. Chère Ségolène, je me mets vraiment à votre place, si difficile. La démagogie est une vague que l’on arrête pas, un tsunami postural. Faites comme Bayrou, soyez plus démagogue, dites ce que vous avez au fond du cœur, donnez donc naissance à cette gauche que les Français attendent, loin de la monarchie miterrandienne, plus rocardienne, plus deloriste, plus réaliste, plus olivierduhameliste, plus respectueuse de ses talents que de ses équilibres de foire…

Je vous souhaite un prompt rétablissement… dans les urnes.

Read Full Post »

J’ai un petit souci avec M’dame Chirette. J’ai failli me fâcher définitivement avec elle. J’essaie de lui expliquer depuis hier qu’elle était forcément experte de quelque chose, comme la Ségo le dit. Elle a d’abord cru que je me moquais d’elle. Il a fallu que je rétropédale pendant la diffusion de Plus belle la vie pour préciser ma pensée. J’ai tiré des psaumes de Désirs d’avenir.

Par exemple, la Ségo pense que chacun a une expérience à faire bénéficier à quelqu’un d’autre. C’est quoi, une expérience, m’a-t-elle lancé ? Je lui ai répondu que ça pouvait être un événement de sa vie personnelle dont elle était fière. Elle a cherché. Mais elle a été perturbée par la mort d’un jeune à la sortie d’un lycée dans Plus belle la vie. Elle était émue. Je lui ai dit que c’était de la fiction. Elle m’a dit que ça partait de faits réels. Quiproquo.

J’ai essayé de reprendre la conversation sur les experts XXL. Elle a froncé les sourcils. « Tu m’emmerdes avec tes experts ! Tu vois pas la vie de merde que je mène ! Qu’est-ce que tu veux que je participe à quoi que ce soit ! Tu viens te moquer de moi ! Casses-toi, gauchiste ».

En rentrant à la maison, je me suis dit : à force de croire que tout le monde a quelque chose à dire, n’allons-nous pas renforcer la souffrance de ceux qui savent qu’ils ne pensent rien ? Le cauchemar participatif, c’est finalement un peu ça, le débordement du n’importe quoi, le n’importe quoi qui s’emballe, des indigestions de mots, de thèses, d’existences en dedans, des blogs pour les potes, des cris poussés dans le vide que l’on croit plein. Un emballement hyperviolent de la machine à dire ouverte à tous les vents.

Onfray, Menu, Chirette sur le même plan, eh, oh, coco, faut se calmer. J’ai lu le dernier ou avant-dernier post comme on dit d’Onfray. Je partage la haine des intellectuels pour ce débat troué d’artificialités cathodiques.

Quand j’écoute l’excellente émission Du grain à moudre sur France-Culture, je me dis qu’est-ce que c’est bon la culture posée sur les rails du temps, de la décantation, de la confrontation des idées, les vraies. Je ne regarderai plus Ripostes et cette tentation comique de faire dans l’épate, de demander à des intellectuels qui ont passé des années le cerveau scotché à essayer de comprendre la complexité du monde de ramasser leurs idées vulgairement, pour que tout le monde parle, et pourquoi y’a tant de mode sur les plateaux télé, pourquoi la compréhension d’un sujet difficile passerait-elle par la spectacularisation du débat intellectuel.

Hier soir, j’ai appelé M’Dame Chirette. Me suis excusée. Elle est sensible. Elle sait qui elle est. Experte de rien. Vlan, elle m’a lâché ça. Elle veut qu’on respecte ça, qu’on la laisse tranquille. Avec les salutations distinguées de la France inexperte…

Read Full Post »

Il fut un temps, pas si éloigné d’ailleurs, où je tins la chronique de la vie modeste de Madame Chirette. Tous les jours, dans un journal local, je restituai l’humeur de cette femme face aux jeux olympiques de Séoul.

En général, c’est un peu comme ça que ça se passe quand on débute dans la profession : il faut s’arracher un petit bout de gras singulier au milieu des plumes altières qui squattent les meilleures places lors des meilleurs événements. « Chez M’dame Chirette ». Une petite colonne par jour. Je lui avais donné les traits de visage de ma grand-mère.

Deux grosses loupes aux yeux qui rendaient son regard monstrueux ; une blouse bleue chiotte accentuant le contraste rose d’improbables caducées inscrits en relief ; des savates, renflées à l’endroit des orteils ; une peau de reptile où se logeaient des surplus de Nivea dans des écailles calleuses…

L’idée n’était pas de poser le cul grotesque de mon surplomb sur le peuple vagissant. J’ai des bonnes manières, je pars du principe que les gens ont choisi ce qu’ils sont, ce qui évite en général les longues discussions familiales sur le fatum indélicat. Nous ne sommes que la somme de nos actes, dis-je à mes enfants, en citant Sartre, entre deux pubs de Skyrock sur des prochains concerts d’anencéphaliques rapers aux tuniques tunées.

Le principe de la chronique dégageait même une certaine noblesse : montrer la vie de ses dissemblables, en évitant de la juger le plus possible. Oh! certes, l’infra-vie n’a rien d’excitant pour les cerveaux bien faits.

La culture contient cette violence inouïe qui éloigne des simples d’esprit ; elle est presque faite pour ça, pour indiquer une échappée dans un océan de crasses, pour laisser le peuple à ses lassitudes, pour tutoyer d’autres altitudes.

C’est ça, la culture, un paravent, un bouclier pour éloigner et s’éloigner de la bêtise… Une chose me gêne cependant : cette masse informe à front d’aurochs nous domine, nous écrase. Et elle n’est pas écoutée. Elle ne dit pas grand chose, en général, c’est vrai. Elle sort ses tripes, n’a pas de recul sur les faits. Et quand elle enrage, elle sort cette phrase terrible, uppercut : « Moi, je n’ai pas fait d’études… »

Ce sont ces gens qui vont faire le vote du 22 avril prochain. Ce sont ces gens qui désespèrent les intellectuels. Ce sont ces gens qui imposent aux politiques leur présence dans des émissions débiles où ils débitent des anecdotes sur le temps de cuisson du veau pané ou leur premier flirt.

S’ils citent Proust, ils sont hors sujet et se désespèrent de leur vocation. Ce sont ces gens qui obligent les intellectuels à la miniaturisation de la complexité, à la lyophilisation des concepts. Ce sont ces gens qui engraissent les boîtes de com’ et qui flottent avec menace sur les débriefings des journées électorales ratées. Ce sont ces gens qui s’accrochent avec désespoir à des petits bouts de compréhension –la sincérité de Bayrou, la féminité de Ségo, l’autorité de Sarko, l’entêtement d’Arlette- pour se rendre devant les urnes avec un chouia de respect d’eux-mêmes. Je ne cause pas des panels d’Ambiel ; je suis au plus profond des entrailles, de la flaccidité des choix improbables, du tribalisme de la tripe.

Vous me trouvez sévère, sans doute, injuste, injurieux. C’est que vous ne connaissez plus le peuple depuis longtemps. C’est que vous vivez entre vous depuis de trop nombreuses années, que vous n’avez plus le sens de la vie d’en bas, des rues noires de quartiers hideux, de l’humidité des habitations insalubres, des horizons débarrassés de lunes. Vous alunissez ailleurs. Je n’ai pas de passion pour l’infra-vie. Je resterai sincère. Je ne me moquerai jamais de ce peuple en lui faisant croire qu’il est expert de quoi que ce soit, si ce n’est de cette misère qui l’afflige, qui ne ment pas, dont il est conscient. Quand la vacuité vous saisit, les gens qui vous disent le contraire passent pour des ignares.

Plutôt que de poursuivre la dissection des faits de campagne, que d’autres font bien mieux, j’ai repris contact avec M’dame Chirette. Elle sucre les fraises dans une maison de retraite de Provence, a échappé à la canicule de justesse, ira voter au prix d’un effort physique incroyable parce que le civisme, pour cette génération, est presque aussi important que l’entretien des napperons et l’arrosage minutieux des géraniums.

Le jour où je lui ai proposé de reprendre notre collaboration, un candidat local aux cantonales effectuait une visite en distribuant des boîtes au chocolat. Il était accompagné d’un imitateur de Bourvil. Il l’a embrassée trois fois. Elle l’a trouvé sympa. On ne l’avait plus embrassée autant depuis longtemps. La directrice de la maison était dans le coup. Une lointaine connaissance du candidat. Ils ont négocié dans le bureau une petite rallonge de subvention pour les activités artistiques des pensionnaires. Bourvil bis collait des affiches dans les couloirs de la maison. Et distribuait aux enfants des vieux des places de cirque pour leurs morveux. Le candidat, avant de partir, a entamé les feuilles mortes d’Yves Montand avec une vieille moins embrumée que les autres. Effet garanti. Demain, le même cirque se répètera avec un autre candidat.

Le temps des élections, dans les maisons de retraite, se caractérise par un net regain d’amoralité de ce type. C’est ça, c’est ça, c’est ça la France, chanterait Rika Zaraïe. Pendant qu’Alain Minc et Benjamin Stora s’étripent sur le modèle social français, les grands partis démocratiques achètent les bulletins de vote à coups de boîtes de chocolat.

Mme Chirette m’a même montré un jour une lettre signée d’un élu annonçant que les prochains colis de chocolats seraient encore plus fournis en cette année électorale que ceux des années précédentes. Dans les secrétariats des élus de proximité, on ne fixe pas seulement les derniers détails d’une révision du Scot. On se couche très tard pour établir le plan détaillé de la distribution des colis pour éviter de fâcher ces électeurs amoureux de douceurs.

Mme Chirette a accepté de reprendre la plume pour les lecteurs de cette blogosphère. La démocratie vue d’un fauteuil croulant. La chronique chocolatée de la vraie vie. Sans mépris. A l’anglaise, éprise de détails vrais, arrosée de Pernaut, de Romejko, de Plus belle la vie. La vie telle qu’elle est, telle qu’elle nous désespère, telle qu’elle les désespère aussi un peu…

Read Full Post »

La maîtrise du temps. Il faut relire Jean de la Fontaine pour gagner une élection. Partir à temps, tenir la distance, occuper le temps qui sépare du jour J, distiller du positif dans le dispositif histrionique de la campagne. Doser : être là sans être dans l’hyper-là. Millimètrer : être dans la conséquence tout en montrant aux caméras voraces du symbole capteur de sens. Erigés comme des balises votantes, les cerveaux de Le Lay sont impitoyables. Ils jugeront sur des riens, de menues choses. Débats en spectacle, le sérieux césarisé : trouver la formule pour les cossards, l’ordre juste, la rupture tranquille, quand la vague part, elle ne s’arrête pas. Petites nourritures terrestres. Notre paresse intellectuelle a inventé les conseillers en com’. Les embaumeurs de contenus. Strip-tease des apparences. Ne pas montrer tout d’un seul coup. Ecouter les vagissements du peuple. Se référer aux inaptitudes collectives. Mener campagne comme un bimbelotier : l’important n’est pas l’objet à vendre mais la manière de le montrer.

La caricature est un art de la persuasion. Les vrais programmes sont au-delà des flonflons de la foire cathodique. Face à l’écran total, il faut vendre l’enveloppe lumineuse. Après, les énarques reprennent la main. La démocratie participative reflue. L’illusion majeure de la démocratie, c’est de laisser entendre que tout le monde est au même niveau de compréhension. On se console en rappelant que l’essentiel est de créer un rapport charnel entre un homme et le peuple. En partant de cette hypothèse, Zidane devrait se présenter à la présidence de la République et accueillerait les chefs d’Etat étrangers en faisant vibrer le cuir sur le perron de l’Elysée.

Le dysfonctionnement génétique essentiel de notre démocratie a été repéré au niveau local. Prenons la loi SRU sur le quota de 20 % de logements sociaux dans les communes : le non-dit est lié au fait que la majorité de la population ne souhaite pas éprouver l’expérience de la mixité sociale. Pour être élu, dans les périphéries des grandes villes, les maires, de gauche comme de droite, n’ont qu’un seul argument à faire valoir, l’engagement de ne pas construire des HLM, porteurs de désagrégation sociale. C’est pour cette raison que l’Etat, dont on fait mine de croire qu’il est entouré d’un halo de neutralité, se contente de donner quelques coups de menton comminatoires en direction des maires adeptes du statut quo. S’il usait d’une plus grande autorité, c’est l’essence même de l’autonomie des libertés locales qui serait atteinte. Dans les villes qui luttent contre le SRU, les maires sont réélus à des hauteurs de barre d’immeubles. Les maires ne sont que les révélateurs de nos inconscients collectifs.

Pourquoi ? Parce qu’en matière de politique de la ville, il faut se battre continûment, sans trop se poser de questions. La politique de la ville, c’est le service de soins intensifs de notre pacte républicain. C’est un corps fracassé qui arrive aux urgences et qui n’est pas prêt d’en sortir. Le révélateur de tous les échecs.

Il ne faut pas moquer le local. Ce serait trop facile. Le local, c’est le travail politique à mains nues. C’est recevoir vingt familles dans la journée réclamant un logement alors qu’il n’en existe pas. Il existe bien sûr des guerriers, conquérants de plus de justice. Mais ils se heurtent souvent au rejet de ceux qui ont réussi à se tirer d’affaire et qui en ont marre qu’on accuse leur talent ou leur savoir-faire, qui se barricadent loin d’un monde qui soupçonne en permanence cette réussite. Voilà l’état de fragmentation de la société française qui s’enferre depuis des décades dans ce face à face rugueux.

Exceptionnellement, je ne parlerai pas de l’état d’avancée des négociations avec le staff de Ségolène. Non par pure superstition mais par manque d’inspiration.

Read Full Post »