Le rebond qualitatif de la gauche au deuxième tour de l’élection législative comporte le risque de différer l’examen de conscience qui s’impose au vu notamment de cette réalité qui n’aura échappé à personne : la droite a bel et bien gagné.
Il ne s’agit pas de jouer les « casseurs » d’ambiance mais de fixer le paysage tel qu’il est. Ce retour au réel s’inscrit dans la continuité d’une démarche méthodologique : pour redevenir un parti en capacité d’incarner une alternative, tant locale que nationale, le Parti socialiste doit faire l’effort douloureux d’examiner les raisons de son échec. Cette démarche réclame une certaine dose de courage car elle risque d’appuyer sur des points douloureux.
Les observateurs les plus avisés ont insisté jusqu’à satiété sur l’absence d’un discours porteur des valeurs de la gauche. Cette critique est injuste sur le fond (le pacte présidentiel de Ségolène Royal comportait à l’évidence des éléments de révolution sociétale) mais juste sur la forme : plus que jamais, le temps hypermédiatique valorise le dire politique en circonscrivant l’agir politique.
Il faut s’interroger sur deux segments simples du débat cathodique surexposé tel qu’il s’est déroulé : Nicolas Sarkozy a réussi à capter les attentes du peuple français sur une revalorisation du travail (mécanisation du principe de la méritocratie, très en vogue dans un pays scindé entre les gagnants des 35 heures et les perdants de la mondialisation) et sur un travail de sape visant à démonétiser le principe de réalité tel que la gauche le conçoit.
Il a réussi la performance de faire passer la gauche pour l’incarnation d’un conservatisme forcément dangereux dans un monde dont la France semble ne pas détenir les clés des mutations rapides qui s’y déroulent. Les Français ont considéré que le discours musclé, réparateur de Nicolas Sarkozy était mieux à même d’opérer le déclic qu’ils attendent.
Dans un contexte où le modèle social français est caricaturé, désigné comme le mal absolu alors que les Français bénéficient à l’évidence des services publics les plus performants au monde (voir le film de Michaël Moore, Sicko, sur le système de santé des Etats-Unis), l’opinion a souhaité faire un pas en avant en espérant une déconstruction habile dudit modèle.
Cette confiance accordée au Président de la République procède d’un malentendu : ce vieux modèle raillé, dont il est de bon ton de fustiger les défaillances, fait l’objet d’une véritable vénération des classes populaires et moyennes. C’est notre totem commun. La France n’est pas l’Allemagne ou encore le Royaume-Uni. Les populations de ces deux pays sont prêtes à faire des sacrifices (augmentation de la TVA de trois points en Allemagne, conditions drastiques imposées aux chômeurs au Royaume-Uni pour retrouver vaille que vaille un emploi) que les Français n’accepteraient pour rien au monde.
L’irréformabilité de la France relève de l’aporie (difficulté insurmontable) : notre pays n’accepte pas de perdre pour espérer gagner plus. Elle tient à sa protection sociale. Elle chérit son tryptique républicain « Liberté, égalité, fraternité » comme les Turcs chérissent leur laïcité. Les Français donnent mission à nos gouvernants de trouver une position médiane entre un Etat protecteur et la mise en place des conditions pour enclencher le cercle vertueux de l’entreprise France.
Comment ? Beaucoup d’experts pourraient jeter l’éponge face à ce défi hymalayen. La seule voie qui me paraît pertinente passe par la réconciliation entre les corps intermédiaires (syndicats, associations, partis…) et les gouvernants afin de dénicher, dans un dialogue permanent, les solutions d’une équation gagnant-gagnant. J’ai la conviction que ce chemin, forcément tortueux tant les blessures, les anathématisations subies ou échangées d’un camp à l’autre relèvent du sport national, peut entraîner d’heureuses surprises.
Prenons le cas du port de Marseille. Je suis convaincu que les esprits sont mûrs pour que des personnalités transfrontières puissent prendre le temps de concilier deux discours perclus de formules à l’emporte pièce, trop fortement pollués par des items claquemurés, opposition entre « sauvegarde du service public » et « renforcement de la compétitivité économique du port ». Pourquoi ces deux pôles resteraient-ils inconciliables ? N’existeraient-ils pas une ou deux convergences entre patronat et syndicats à partir desquelles le commencement d’un cheminement pourrait poindre ?
Autre exemple : la réforme ou la suppression de la carte scolaire. La priorité ne devrait-elle pas aller vers une refonte des modalités de carrière d’un professeur pour éviter que les plus expérimentés soient affectés dans des lycées prestigieux alors que les débutants se trouvent souvent dépassés dans des contextes difficiles et lourds ? Pourquoi ne pas généraliser certaines méthodes pédagogiques qui ont montré leur efficacité dans les zones sensibles ? Pourquoi ne pas donner plus d’autonomie à ces professeurs inventifs, dont il faut valoriser l’envie de contourner le désastre que représente l’échec scolaire pour un enfant ? Comment amortir le choc de la désafiliation sociale dans les établissements scolaires forcément exposés à des fragilités sociales plus grandes (elles sont a priori plus vives lorsque le chômage et l’oisiveté dominent que lorsque la stabilité financière et familiale est assurée) ?
Le temps des pratiques administratives est à l’audace. Il faut donner mandat aux plus inventifs d’aller au bout de leur réformisme plutôt que d’accepter un statu quo figeant les rancœurs et les échecs dans la durée. C’est sur ce terrain de l’inventivité progressiste qu’il faudra avancer pour que la gauche redevienne crédible auprès des Français dans une période de maturité civique et démocratique très forte.
Ces derniers ne sont pas aquoibonnistes. Ils veulent s’engouer pour des solutions crédibles, issues d’une analyse contradictoire de la réalité, où les fausses-bonnes solutions seront ramenées au simple témoignage d’une fidélité hériditaire.
Les Français sont désireux de discours effectifs. Ce constat imposera à la gauche une révolution interne, tant dans la rénovation de son discours que dans ses pratiques.
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