Feeds:
Articles
Commentaires

Archive for février 2008

L’ennui, avec le Canard Enchaîné, c’est que c’est tellement gros qu’on a parfois du mal à le croire. Ainsi, lorsque l’hebdo satirique décrit avec force et détail le contenu du repas d’adieu de Stéphane Duhamel, ex-pédégé de La Provence, viré avec Gilles Dauxerre, ancien directeur de la publication, par le nouveau propriétaire du journal, Philippe Hersant, repas organisé à la mairie par Jean-Claude Gaudin. Ce dernier lui a d’abord assuré qu’il n’était pour rien dans son départ. Le maire de Marseille, aidé en cela par Christian Estrosi, avait beaucoup milité pour le retrait de Lagardère de ses journaux du Sud (Nice Matin, La Provence, Corse Matin…) ne se traduise pas par l’arrivée du groupe britannique Mecom mais plutôt par celle de Philippe Hersant.

Et, en effet, le Hersant en question a tout de suite rassuré Gaudin sur sa docilité : il a ainsi embauché Bruno Genzana dans une de ses filiales, le gratuit Paru Vendu. Genzana n’est autre que le chef de file de l’UMP au Conseil général présidée par Jean-Noël Guérini, opposant socialiste à la mairie de Marseille. Dans la foulée, le décidément très compréhensif Hersant a recruté Guy Philip, ancien directeur de la communication de Gaudin, pour diriger le Groupe Hersant Médias (GHM), structure qui chapeautera les journaux rachetés à Lagardère. Bien entendu, que les esprits mal placés soient châtiés, l’homme en question n’aura aucun regard sur le contenu éditorial puisqu’il sera en charge du développement. Mais là, tout de même, la coïncidence est troublante.

A Marseille, il existait avant une presse d’opinion, un peu balourde, dont je vous conseille la lecture, histoire de balayer cette catin de nostalgie qui veut nous faire croire qu’avant c’était mieux. Pas une Une du Provençal sans que le Lion Defferre n’y jette un œil (maire de Marseille et, occasionnellement, ministre de l’Intérieur). On évoque le souvenir parfois avec une pointe de larme au coin de l’œil, pour poser le personnage. Le Méridional a été un torchis raciste sous l’impulsion de sieur Domenech. Mais la droite gaudiniste donnait elle aussi ses petits coups de fil pour tancer des journalistes récalcitrants. Et les supérieurs descendaient des étages pour recadrer la « charte » rédactionnelle : lui, c’est un ami ; lui, non… Un petit mot sur La Marseillaise où, quand le PC est tonitruant sur Marseille, la moindre virgule était pesée à l’angström par le comité central local. La liberté de la presse locale, c’était déjà du pipeau. Et même Le Pavé, que j’eus l’immense honneur de mener vers sa fin annoncée, dut faire, soyons honnêtes, quelques petites acrobaties sémantiques pour que les pouvoirs industriels et politiques ne retirent pas leur pub.

Aujourd’hui, à l’heure des fusions, la mise sous tutelle est plus pernicieuse. Car la presse locale n’est plus lue. Elle tient essentiellement grâce aux pages de pub. Alors, en arrière-fond, l’information est sous-pesée, les dossiers de fond expédiés aux oubliettes, les évidences contournées, etc. On regarde ailleurs. On évoque autour du café entre journalistes la chimère d’une presse courageuse qui ne serait qu’une presse normale. C’est ainsi. Les bons journalistes font autre chose, se convertissent à d’autres pratiques. Le champ est libre pour Hersant et compagnie. Le plus triste avec ce type d’infos publiés dans le Canard Enchaîné, c’est sa manière de couler, de passer, de ne rien accrocher au débat sur Marseille, comme si nous vivions dans une contrée profonde de la Sibérie et que le Canard Enchaîné avait du mal à y être acheminé. Comme si cet article intitulé « Gaudin joue déjà à la belote avec Hersant » dans l’édition du 30 janvier, posant un regard inquiétant sur l’état de la démocratie à Marseille, ne nous concernait pas. Comme si nous avions admis qu’il ne servait plus à rien de se battre pour s’occuper de cette petite proximité d’en bas de chez soi. Comme si nous avions admis que, du Canard Enchaîné ou de Jean-Claude Gaudin, le menteur, l’excessif, c’était le premier. A ce rythme, face à notre passivité, à notre pusillanimité, nous basculons progressivement, sournoisement, dans le non-débat, dans une presse camomille qui sert à endormir tout le monde, qui sert à anesthésier les antagonismes, qui sert à se convaincre qu’il ne sert à rien de s’exciter pour quelques arpents de dignité humaine gagnés sur les puissances de l’argent et des réseaux qu’elles alimentent. Les journalistes de La Provence font ce qu’ils peuvent. Le Syndicat national des journalistes s’est ému de l’article, a réclamé des garanties sur l’indépendance des journalistes. Ils font ce qu’ils peuvent, le minimum syndical (les journalistes de La Tribune s’étaient mis en grève).

Read Full Post »