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L’homme porte en lui une vieille blessure d’enfance. Un regard trop vite désabusé sur le monde tel qu’il est, « colonisé » dans sa tête par les manifestations les plus vulgaires des humiliations impériales, si néanderthaliennes dans la forme qu’elles paraissent appartenir à un lointain patrimoine historique.

« Les gens s’écartaient à notre passage parce que nous étions blancs », rappelle Jacques Vergès. Enfance indochinoise, adolescence marxisante, dillettantisme fildefériste portant une soif égotiste inextinguible, Vergès est devenu avocat pour satisfaire son besoin de cogner dans le bide renflé des conformismes, sa faim de provocation dans un monde normatif qu’il tient en haine.

Barbet Schroeder pénètre ce mystère sans a priori, sans hagiographie, sans didactisme. La force de ce documentaire-fiction réside justement dans le parti pris d’une exploration qui, tout en gardant à distance la munificence du personnage, remonte aux sources d’une colère que rien n’apaise.

On sent très vite que Vergès n’est pas un penseur au sens où l’on peut l’entendre classiquement, au sens sartrien du terme. Chez lui, l’hypersensibilité, doublée d’un romantisme révolutionnaire de salpêtre, conditionne l’engagement. Il aime la femme et l’homme debout, l’homme révolté, l’homme qui ne ploie pas. S’il s’aveugle, c’est en conscience. A cécité, cécité et demie.

Le réalisateur raffole de ces contrebalancements, de ces contrepieds, de cette esthétique ébouriffante ramenant toujours le monde au cœur de ses contradictions, par le biais de formules cyniques, où la violence terroriste n’est jamais condamnée puisqu’elle s’origine dans l’écrasement humiliant des peuples. Vergès n’est pas seulement l’avocat de la terreur, il est celui d’une amoralité universelle qui lui préexistait, celui d’une violence spectaculaire qui répond avec les moyens du bord à la violence institutionnelle des Etats qui, au nom de la raison, laissent les peuples aux mains de l’arbitraire.

Pour lui, Hitler ou Bush, c’est du pareil au même. S’il avait défendu Hitler, il aurait accusé le monde d’avoir humilié le peuple allemand après la première guerre mondiale. S’il défend un jour Bush, il pointera un doigt accusateur sur un libéralisme dévoyé, échevelé, où les grandes entreprises ont oublié qu’elles avaient un rôle majeur à jouer dans la marche en avant de l’émancipation des peuples.

Vergès, c’est ce gros cigare cubain sur lequel il tire avec le plaisir goulu d’un hédoniste ; c’est cette petite cabane discrète dans les territoires des Khmers rouges où sa présence tutélaire hante les lieux ; c’est l’Algérie dont il accompagna la marche vers l’indépendance avec un enthousiasme vite douché par les lendemains révolutionnaires, éternellement décevant. Vergès ne croit en rien.

Il n’a que le cynisme brillant de ses colères pour accuser le monde d’avoir enfanté dans le sang ses pires utopies. Barbet Schroeder montre bien le cheminement de ce nihilisme porteur de brio. L’idée d’être seul contre tous lui donne des ailes. Ce donquichottisme aigri prend parfois des allures révoltantes. Les corps meurtris des victimes des attentats, pour l’avocat des causes indéfendables, appartiennent à l’internationale de ces innocents, blancs, noirs, jaunes, etc., dont l’éternelle lutte entre les puissants et les rebelles de la misère allonge la liste. Le film est dérangeant, donc brillant.

Sans voix off, sans externalisation du jugement. Comme toujours, Barbet Schroeder laisse le soin au spectateur de se faire son opinion. Et la qualité du film réside peut-être dans cette suspension du jugement : la question de savoir qui est Jacques Vergès reste sans réponse, conserve jalousement son mystère. Seule la morale de l’histoire en ressort éreintée, morale kaléidoscopique, dont chacun défend son bout de gras.

Il faut aller voir ce film, rapidement. Ne serait-ce pour savoir de quel bout de gras vous ferez cuire votre soupe utopique pour les prochaines années.

http://ps93sevran.canalblog.com/albums/pot_de_bonne_annee_2006/m-PICT0025.1.JPGJe viens de lire le chat de Jean-Christophe Cambadélis sur le site du journal Le Monde. C’est la première fois personnellement que j’entends dans la bouche d’un responsable important du Parti socialiste des mots aussi clairs, immédiatement perceptibles, sur les erreurs du PS et sa cruelle absence de solidité programmatique.

Ce courage introspectif est tout à votre honneur, M.Cambadélis. Les militants socialistes ne sont pas dupes : ils savent que le PS souffre d’une grave anémie touchant tous les organes de son fonctionnement collectif.

Les idées, bien sûr : elles existent mais elles restent au stade de la profération creuse, elles n’ont pas été passées au tamis des experts extérieurs, elles n’ont pas été confrontées à l’épreuve des faits.

L’absence de metteurs en mots : dans un monde hypermédiatique, on passe la première barrière de la persuasion en augmentant le volume d’effectivité des mots, sans céder pour autant aux facilités dialectiques. Un concept qui tremble, qui manque de muscle lexical échoue.

La frilosité à recruter des agitateurs d’idées : le PS est recroquevillé sur lui-même, il a peur des interventions extérieures capables de remettre en cause ce que j’appelle les équilibres systémiques (chacun à sa place thésaurisant son petit lot d’avantages).

Les abcès localistes : les fédérations et leurs pratiques clientélaires rendent l’émergence d’un discours rénovateur difficile. Aux échelles départementales, on gère les compétences par cooptations, par enchaînement dynastique et on saigne à blanc les viviers intellectuels par peur d’une remise en cause systémique. Il ne se passe plus rien dans les sections socialistes. Plus de débat, plus d’affrontement, plus de formation militante (décryptage de l’actualité, intervention extérieure d’un expert, d’un journaliste, d’un auteur, etc.).

Cette absence de culture politique est dramatique pour des militants censés innerver le débat public de points de vue autoritaires. Cette absence de prise en compte des appétences militantes est contristant. Parce qu’elle risque, sous peu d’ailleurs, de faire tomber à plat toutes les exhortations, même les plus authentiques, aux divers électrochocs.

Quand j’entends des personnalités politiques socialistes appeler à la rénovation du PS alors qu’elles décorent la tapisserie jaunissante de Solferino depuis les années 50, je me dis que quelque chose cloche dans ce désir d’avenir qui reste interpellatif à défaut d’être interprétatif. Je ne suis pas un excité du jeunisme à tous crins. J’ai le plus grand respect pour les anciens. Et ceux qui sont là y sont pour des raisons justifiées. Mais j’ai le sentiment qu’ils ont brûlé leurs énergies intellectuelles incontestables à tenir à flot un système brinquebalant. Dans la bouche des responsables du PS, les mots de la rénovation sont vieux, terriblement vieux, affectés d’arthrite.

Donc, merci une fois de plus, M.Cambadélis, de mettre votre intelligence au service de ce diagnostic sans faux-fuyants. Si le PS ne va pas dans le sens que vous indiquez, beaucoup de sympathisants voteront pour le Modem de François Bayrou en 2012, c’est à mes yeux une évidence. Encouragez donc Dominique Strauss-Kahn à faire ce que tout le monde attend : un rapprochement avec Ségolène Royal (je ne vois aucune raison que ces deux personnalités divergent sur l’avenir de la France) puis une prise de contact avec François Bayrou, dans le respect des indépendances respectives, mais juste pour construire une hypothèse de futur.

Si Nicolas Sarkozy souhaite si ardemment éradiquer la proposition politique qu’incarne François Bayrou, c’est qu’il craint qu’elle constitue en 2012 une alternative plus solide encore qu’en 2007. Et cette fois, croyez-moi, oui, sans scrupule, sans honte, sans retenue, sans baratin sur le vote utile, sans remords, la majorité des sympathisants du PS voteront Bayrou avec enthousiasme et sans amertume.

http://www.adgoog.com/blogLes Français ont désormais sous les yeux un paysage politique notablement clarifié. Trois propositions s’offrent à eux. Elles ont pour caractéristique commune la volonté d’une hyperprésence qui renouvellerait les traditionnelles approches d’alliance.

Ayant réussi l’examen de la séduction, Nicolas Sarkozy est obsédé par la volonté d’injecter des anesthésiants dans le corps malade de la gauche. Pour reprendre la désormais célèbre expression d’Edwin Plenel, l’hyperprésidentialisation veut s’assurer une stabilité dans le temps en récupérant les soldats frustrés d’une gauche fatiguée d’elle-même. Il n’est pas certain que la tactique réussisse tant les recrues sont déjà démonétisées dans l’esprit de la gauche mouvementiste. Je pense plus particulièrement à Bernard Kouchner et Eric Besson, Jean-Pierre Jouyet et Martin Hirsh, de par leur parcours, ne pouvant être rangés sous le même label opportuniste.

Cette sphère va s’élargir avec deux recrues annoncées de chaque côté, le pathétique Jack Lang et le clairvoyant Jacques Attali. Si Nicolas Sarkozy agit de la sorte, c’est qu’il connaît mieux que quiconque la versatilité de l’opinion publique en bon ex-balladurien borduré.

En ces temps nouveaux de consumérisme électoral, le temps des preuves suit de près celui de la séduction. L’hypnotisme sarkozyste est donc, de ce fait, soumis à la même épreuve des faits. Ce n’est plus la légitimité d’un succès électoral, si patent soit-il, qui assurera le prolongement de l’euphorie, mais celui de la légitimité des preuves (le prix du chariot dans les hypermarchés, l’anoblissement de la valeur travail, l’enrayement du descenseur social, le sentiment d’une sécurisation au sens large des conditions de vie, etc.).

Il faut être bouché à l’émeri pour ne pas comprendre que Nicolas Sarkozy gouverne avec une carte réactualisée, tous les matins, de l’état de l’opinion. Or, la politique est l’art de remonter les courants contraires, de secouer les acquis, de piétiner les consensus. Habile, animal, Nicolas Sarkozy n’ignore pas le rejet dont il fait l’objet dans une partie importante de l’opinion. Cet anti-sarkozysme est pour l’heure un volcan éteint. Mais, en bon géologue, Nicolas Sarkozy travaille sur les conséquences d’éruptions inévitables.

L’autre hyperprésence s’enracine autour de François Bayrou. Son « ninisme », sa volonté de sublimer un hypercentre a été couronnée de succès à l’élection présidentielle et Nicolas Sarkozy ne l’ignore pas. La création cynique du nouveau centre, l’énergie mise à réunir l’axe radical prouvent s’il en était besoin qu’il souhaite bloquer l’innervation du discours de François Bayrou mais cette ligne de Maginot ne tiendra pas à la première difficulté tant les Hervé Morin, Maurice Leroy et autre Jean-Michel Baylet apparaissent comme des opportunistes sans valeur aux yeux d’une opinion désireuse de rejeter ces arrangements mafieux.

François Bayrou a réussi une énorme performance, celle de s’inscrire dans une possibilité d’avenir. Il incarnerait presque la meilleure opposition actuelle, celle d’un dépassement vertueux. Une seule épreuve l’attend : le choix. Les sciences physiques peuvent être éclairantes pour juger de l’inscription dans le temps des offres politiques nouvelles. L’équilibre, par essence, est précaire puisqu’il se pose au centre de deux forces centrifuges dont les conditions de matérialité sont mouvantes.

Le tsunami sarkozyste déplace le centre actuel au centre gauche. C’est une loi physique dont j’ai cru comprendre, avec mon modeste bagage scientifique, que François Bayrou avait repéré le déplacement. Quand il déclare dans le journal télévisé de France 2 du 3 juin à 20h que le deuxième tour du Modem aux législatives creusera l’hypothèse d’un plus grand pluralisme à l’assemblée nationale, beaucoup traduisent que des accords nombreux et décisifs seront scellés avec le Parti socialiste pour éviter une monochromie monotone au Parlement.

D’ailleurs, la facilité avec laquelle beaucoup d’élus Vert, souvent compétents, ont rejoint le Modem, sanctionnant ainsi la dérive picrocholine du parti écologiste, laisse supposer que les abouchements seront possibles entre des candidats PS effrayés par l’atonie de Solferino et un Modem très suspicieux sur l’état de grâce sarkozyste.

Enfin, la dernière hyperprésence, qui n’a rien du discours de la méthode Coué, et ça aussi, Nicolas Sarkozy le sait, est incarnée par le PS ségolisé. Dans les joutes classiques, le perdant est invité à traverser le désert pour ressourcer le discours. Or, n’en déplaisent à ceux qui la trouvent nunuche, Ségolène Royal a réussi la performance qu’un stratège comme Sarkozy ne peut qu’apprécier de faire porter la responsabilité de sa défaite aux pachydermiques dysfonctionnements du Parti socialiste.

Avec une foi d’airain, en intuitive née, habitée par une force mentale bien au-dessus de la moyenne, Ségolène Royal croit en son étoile et rien ne pourra la faire dévier de cette certitude. Comme si elle avait analysé les raisons de son échec : l’absence de profilage du discours, l’absence de mots, de syllogismes forts. Dire, c’est agir, rappellent les linguistes. Royal a perdu la bataille des mots, pas celui de la rénovation sociétale du pays.

L’après législatives au PS s’apparentera à un été meurtrier. Il se murmure déjà que les puissantes fédérations, soucieuses de défendre leurs réserves foncières à l’approche des municipales et des cantonales de 2008, prendront l’initiative d’une plus grande clarification du projet socialiste pour ne plus être otages des chicaneries nationales.

Mais les baronnies locales ont le sens du concret et elles savent que Ségolène Royal est aujourd’hui incontournable. Le seul ségocompatible est aujourd’hui DSK qui devra faire preuve d’humilité pour accepter une telle destinée. Car Ségolène Royal a profité des flottements directionnels du PS pour imposer sa marque. Et, tel un outsider ayant pris une dizaine de minutes dans une étape de plaine aux favoris du Tour de France, elle a pris une considérable avance dont elle capitalise l’avantage : les groupies ségolisées, à forte dominante féministe et zone sensible urbaine, ne la lâcheront pas tant le lien relève d’un surprenant mysticisme.

Ces trois hyperprésences conditionneront les prochains rapports de forces. Du discours à la mise en œuvre, Nicolas Sarkozy ne pourra slalomer continûment entre les récifs de la réalité. Le temps fusionnel des bises sur le perron de l’Elysée et des mains dans le dos complices ne durera pas face à une opinion française aussi ductile, capable de refuser la Constitution européenne et de voter deux ans plus tard pour un de ses promoteurs.

http://conservativehome.blogs.com/torydiary/images/sarkozy_1.jpgSans être atteint ni de sarkophobie primaire, ni de sarkophilie douteuse, il est intéressant d’apprécier la manière avec laquelle Nicolas Sarkozy a occupé le champ des attentes et surtout des frustrations du « peuple de gauche », si cette étiquette signifie encore quelque chose.

Lorsqu’il appelle de ses vœux la liquidation de « l’esprit mai 68 », il ne ravit pas seulement les bourgeois rétifs aux bouleversements sociétaux. C’est plus subtil qu’on ne l’imagine : il s’adresse directement à la masse informe de cette gauche progressiste qui a réellement cru que l’après mai 68 marquerait une saine et positive transformation des mœurs, des rapports à l’autorité, de la prise en compte des spécificités de l’enfant… Cette marche en avant a eu pour conséquence l’affirmation d’une autonomie individuelle dont la croissance exponentielle des divorces est sans doute le marqueur le plus révélateur.

Cette nouvelle liberté, le fait en effet de s’émanciper d’une vie subie apparaît comme une conquête sociale, a étrangement pris une direction dramatique puisque l’on parle aujourd’hui de familles monoparentales, de pères seuls dormant dans leur voiture, d’impossibilité à faire fonctionner les familles recomposées, entraînant ainsi de fait une nouvelle configuration pathologique du vivre ensemble, avec une « déritualisation » de la geste familiale, que l’on peut moquer en colloque pour faire son beau intello mais qui, du Nord Pas de Calais à Marseille, de Nice à Angers, forme comme un socle commun, un lieu d’accompagnement unique de la vie de nos ados.

La libération du carcan familial a entraîné l’implosion des repères, même empoussiérés, qui faisaient de ce lieu l’aire d’impulsion de la transmission du pacte civique. Je vois autour de moi des tas d’adolescents frappés par ce qui vive des fondations. Les enfants sont plus des copains que des petits êtres en cours d’achèvement dont il faut aiguiser le sens critique, l’envie de citoyenneté.

La double conjonction des familles implosées et des familles qui ne se recomposent pas (trop de hiatus demeurent dans une séparation, on a oublié la férocité traumatique d’un divorce pour un enfant) débouche donc sur un tissu social effrangé, où les enfants rois ont pris la main, non par tyrannie malveillante mais par remords parental. Et Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, que j’ai eu le bonheur d’interviewer il y a peu, m’expliquait très justement que la reconnaissance sociale des démunis passe par la possession de Play Station 3 ou la location d’un mobil-home dans le Vercors, quitte à se saigner à blanc, à emprunter avec des taux d’intérêts à 18 %, comme s’il fallait éponger les saignements du contrecoup de la liberté chérie contenue dans le choix de sa nouvelle autonomie sociale.

Je vois autour de moi des familles culpabilisées. Attention, je ne veux pas faire mon vieux schnock en cours de sarkozysation rampante (je suis mithridatisé). Je rappelle tout simplement que la société se fonde sur des repères qui ont subi ces dernières années de violentes remises en cause et dont nous n’avons pas su pressentir les retombées néfastes sur des enfants sommés de s’adapter à l’inadaptable, à savoir la prise de distance autonome des seules autorités affectives et effectives autour desquelles ils se construisent, le père et la mère.

En accusant mai 68 pour d’autres raisons, pour renforcer la culpabilité de la gauche, pour dénoncer les limites de son réformisme et sa tentation séculaire de laxisme, Nicolas Sarkozy a aussi voulu s’adresser à toutes ces personnes dont la liberté sociale chèrement acquise a entraîné le délitement progressif de cette vieille et pataude notion familiale que rien ne remplace, qu’on le veuille ou non.

On est là. Las surtout. On regarde. Sans fièvre. On attend. Meeting unitaire de lancement de campagne législative. Belle tapisserie de références usées par le temps du surplace. On n’entend plus rien. Pas une proposition, pas une interview, comment dire, défrisante. Un nostra culpa puis l’amorce d’un autre discours. On ressent comme un écrasement. Un sentiment d’infériorité. Aucune autorité dialectique. Rien.

On se fait les dents sur les félonies de ceux qui sont passés dans le camp d’en face. C’est bien mais en politique, on ne construit rien de bien durable sur les supposées défaillances de l’adversaire. Les intellos sont repartis au boulot. Les fenêtres censées s’ouvrir sur la jeunesse, sur les nouvelles têtes, sur les nouveaux modes de liaisons entre le monde associatif et les responsables politiques, sur la refondation inéluctable ne sont que des vasistas où l’œil de Solferino veille, vidéosurveillance chargée de punir les décalages.

Comme sur un vélodrome, on se crispe sur la machine en attendant le premier sprint. DSK a tenté trois minutes après la défaite de Ségolène une échappée. Paf, rattrapé, sermonné, accusé d’opportunisme. Alors ? Rien… Le vide, les « je suis disponible », les « si je suis en situation », les appels à l’unité –quel formidable disposition au psittacisme dans ce PS le plus rouillé du monde- qui ressemblent à des messes ânonnées par de vieux prêtres que la modernité effraie.

Oui, tout est creux dans la boutique, même l’appel de L’Obs au débat qui se réduit à quelques textes gentils envoyés à une copine qui vient de perdre son chat alors qu’elle était en train de passer son Bafa… Les sociologues des organisations ont disséqué le danger qui menace ces dernières lorsqu’elles sont organisées de telle sorte qu’elles ne font qu’adorer les surplaces itératifs qui évitent les affirmations de talents.

En face, dans la sarkosphère, ça bouge, ça gueule, ça crie, ça se trompe, ça effrite l’éthique, c’est bien dans ses bottes, même si elles sont parfois plantées dans la fange des petits arrangements entre amis (m’enfin, dans ce domaine, le PS devrait faire attention à ne pas trop se parer des plumes de la vertu tant certains titres nationaux lui sont organiquement liés). Philippe Val, à sa manière dérangeante de mettre les pieds dans le plat, a raison d’insister sur le besoin de dire : « Nous, c’est ça. Eux, c’est ça ».

Nous, la gauche, on ne veut pas du service minimum pour les raisons suivantes. Nous, la gauche, on ne veut pas du tout répressif pour ces raisons précises. De toute façon, a-t-elle le choix, cette gauche ? Courir après Sarkozy ? Trop dur, il est trop fort, son virilisme conservateur est inimitable ! Alors, il reste à ripoliner les bonnes intentions. Il reste à reprendre les idées concassées par le broyeur médiatique. Il reste à apprendre à les dire, à les muscler, car la communication fait tout, certes, mais elle est encore plus efficace à partir du moment où les idées qu’elle porte sont frappées d’une réelle solidité, d’une forte adhésivité.

Pour le PS, le temps est à l’épure, à l’esthétique conceptuelle, à la sobriété ascétique… Mais l’organisation interne du PS, telle qu’elle existe, avec ses courants, ses baronnies locales, ses dynasties cryptoétatistes, cryptocollectivistes, va dégoûter définitivement ceux qui ont envie d’y croire, comme moi. Au PS, l’ascenseur social aussi ne fonctionne plus…

http://blpwebzine.blogs.com/nuesweb/images/google.jpgDouze millions de blogueurs en France (quand je vérifie l’orthographe sur word, le dico me propose « blagueurs »). Mon fils aîné en a trois. Le plus petit, cinq. Moi, un. Un Français sur cinq. En excluant les seniors en maison de retraite (ma grand-mère ne connaîtra pas le doux vertige narcissique d’internet). Des Français actifs, dirons-nous. Enfin, actifs ? !

Je vois beaucoup dans cette adhésion napoléonienne une violente décharge d’égotisme mal contenue, une bouteille facile jetée à la mer. La lecture des blogs est touchante : toutes ces petites mains qui s’activent (comme moi en ce moment) pour transmettre un petit poème, un clin d’œil maternel, une analyses poussée des résultats électoraux du canton…

Vertige d’existence des ratés, des oubliés, des petits journalistes pas reconnus, des grands journalistes pas compris, des écrivassiers en devenir, des noblaillons mortifiés… Et surtout, suprême auto-flagellation, les grands de ce monde, intellos, sportifs, journalistes, écrivains, artistes, qui condescendent à livrer quelques confidences dans leur journée bien chargée au vulgum pecus, ne s’attardant pas sur la forme débraillée du style, s’offrant l’ivresse d’un parler vrai avant de retrouver la noblesse de la publication universitaire, avec ses rites, ses encodages, ses paralysies.

La blogosphère est un immense défouloir, une grande soirée mondaine où les ceux qui ne savent rien parlent sur un ton péremptoire et les ceux qui savent regardent nerveusement la montre en se demandant quand le calvaire s’achèvera. La blogosphère est une foire d’empoigne de CV sans cible. Une esthétique de décontenance. Un marmitage de dazibao que seul le hasard révèlera.

Et surtout, point d’orgue émétique, la reconnaissance d’un blog tient à son référencement. Je suis tombé sur un type marrant hier en pénétrant le trou noir de l’hystérie blogosphérique. Meilleur blog politique 2007, avait-il référencé. Il s’était auto-attribué le titre. Comment ? En votant pour lui-même… Le blog est une auto-désignation narcissique.

Douze millions de blagueurs, douze millions de déjantés, d’illusionnés, d’affamés du clic, de disponibilités mentales à recevoir le télévangélisme sarkozyste, cet individualisme militant… Le rêve du blagueur, c’est de sauter la référence universitaire (la seule qui vaille) pour s’arrimer à la référence du nombre.

Et pourtant, tiens, je clique, un post de plus pour la route, et demain matin, j’irai me soûler de certitudes en scrutant les statistiques de la veille. Mépris de soi, mise à nu des quotidiennetés délitescentes, tribalisation de l’infra-ordinaire (Georges Pérec). Croire en soi, comme le conseillent les sites psycho des magazines de pouffes ou de vertébrés anencéphaliques adeptes du tuning, c’est se ridiculiser dans un grand rituel collectif.

www.observatoiredeleurope.com

L’air du temps est à la refondation au Parti socialiste. Les quadras n’hésitent plus à insister sur une révolution interne radicale. Reste à en définir les contours. Face à ce chantier nécessaire, les premières difficultés surgissent immédiatement.

Les caciques locaux accepteront-ils de lancer de nouvelles têtes sans remettre en cause le système sécurisé sur lequel ils assurent, bon an mal an, leur renouvellement ? Accepteront-ils d’intégrer la dynamique conceptuelle des nouveaux adhérents, celle qui a permis à Ségolène Royal d’assurer son succès lors des primaires pour la désignation du candidat à la présidentielle ? Accepteront-ils la remise en cause de cette gestion à la papa en vigueur depuis de nombreuses années dans les baronnies socialistes, qui accordent sa préférence aux dynasties, aux cooptations franc-maçonniques, pour assurer la relève (je ne parle des personnes, j’accuse le système) ? Accepteront-ils enfin de mettre un terme au laminage des élites intellectuelles, censées incarner le primat d’excellence de la gauche sur la droite ? Accepteront-ils les Rachida Dati de gauche ? Leur réserveront-ils le même sort qu’à Malek Boutih ?

Il faut lire autre chose qu’un simple opportunisme dans l’ouverture à gauche voulue par Nicolas Sarkozy. Cette dernière s’appuie en premier lieu sur une vision idéologique panoptique de la maison France. Cette dernière reste profondément divisée en son cœur entre deux pôles : une fascination mal feinte pour les réussites du modèle anglo-saxon (plein emploi, capacité à relever des défis supposés inatteignables) ; une crainte sous-jacente de la solidité du modèle social gaulois face à une mondialisation qui, lorsqu’elle est intelligemment décrite, pointe immédiatement les fragilités du dit modèle (financement des retraites, compétitivité des entreprises à l’international).

Cet état d’angoisse généralisé a jeté les bases du social-libéralisme rénové que souhaite promouvoir Nicolas Sarkozy. D’où la volonté de ce dernier d’élargir la base des valeurs d’un éventuel succès de sa démarche. La culture de la réussite qu’il souhaite promouvoir ne peut se concrétiser dans l’opposition entre les deux France, celle qui ne tire pas profit des avantages de la mondialisation et celle qui assure qu’en débridant l’esprit d’entreprise, les pauvres bénéficieront aussi des retombées positives de la nouvelle donne économique.

Disons le tout net : cette démarche est séduisante. Sera-t-elle opérationnelle ? Les premiers échanges entre les syndicats et François Fillon (peut-être plus autoritaire sur le coup que son patron) laissent augurer un temps plus long que prévu pour qu’un climat social de confiance puisse entraîner l’instillation des réformes souhaitées par Nicolas Sarkozy. A moins que (l’hypothèse est peu évoquée) l’impérialisme idéologique sarkozyste naissant parvienne à se dispenser de syndicats qui ne représentent au final que 8 % des salariés français.

Ne nous cachons pas la réalité : face à ce rouleau compresseur, le Parti socialiste n’a qu’une seule voie à explorer : celle de sortir de sa pleutrerie conceptuelle, celle de l’humilité, d’un grand coup de Kärcher (pardon) sur les totémismes antédiluviens. En l’état actuel, le Parti socialiste ne manque pas de talents. Mais il en existe aussi beaucoup à l’extérieur. Des quadras, formés au rejet du monarchisme mitterrandien, pour lesquels l’action politique s’arrime sur le concret (l’insécurité, la sécurisation des parcours professionnels, la priorité donnée à une école de la République plus soucieuse des enfants les plus exposés aux dérives sociales, etc).

Qu’a fait Nicolas Sarkozy ? Il a siphonné les idées de gauche, leur a donné une carnation concrète. Ne parlons plus d’utopie, profitons des extraordinaires ressources du champ associatif, libérons les énergies innovantes, donnons à tous les hommes de bonne volonté la possibilité de vivre leurs rêves, d’entreprendre, quitte à se planter, pour ne pas entrer dans la vraie vie à reculons, avec pour seul objectif de s’accrocher aux branches les moins branlantes de l’avenir. La France est aujourd’hui atteinte d’une forme aiguë d’asthénie. Elle a peur de faire. Elle a peur de se libérer. Quel gâchis !

Si le Parti socialiste reste en l’état, si le profil du futur élu est lié à son hérédité, si les nouvelles générations ne sont que des duplications plus fades des futures anciennes, si faire de la politique c’est uniquement apprendre par cœur des fiches joliment rédigées pour les ânonner en meetings, alors oui, le sarkozysme a de l’avenir devant lui et le Parti socialiste se transformera piteusement en centre de formation des futurs cadres de l’UMP.

Chère Ségolène Royal, je reste à ton entière disposition. Messieurs de Solférino, je baigne dans le mauvais jus de l’improductivité. J’attends votre appel. Et merde pour cet élan narcissique (je ne serai jugé que sur les résultats), merde à ceux qui me jugeront mytho (ils n’ont qu’à aller écouter quelques réunions publiques d’élus socialistes de terrain pour se rendre compte qu’ils sont incapables de faire vibrer la moindre envie), merde de laisser le champ libre à la médiocratie du PS !

http://www.emmabonino.it/var/data/images/5527_napoleon-throne.jpg_large.jpgAvouons-le : les membres de l’UMP affichent aujourd’hui une grande sérénité dans le déroulement de leur argumentaire. Le logiciel que leur a offert Nicolas Sarkozy ne tombe pas en panne. Mieux encore, il y a comme une excitation auto-centrée de ce fameux brio dialectique qui fait l’élection.

Pas besoin de lire le linguiste Fernand Saussure (que je conseille tout de même vivement) pour intégrer cette règle élémentaire : l’important, ce n’est pas seulement d’avoir de bonnes idées mais d’assurer, dans la clarté, leur promotion. Les Français aiment la virilité des formules choc, les « tapismes » langagiers. Nicolas Sarkozy a réussi l’exercice, passons…

Le plus difficile aujourd’hui pour le Parti socialiste, ce n’est pas tant d’opposer des idées crédibles (elles existent, en ordre dispersé certes, mais elles demandent juste à être intelligemment coffrées) que d’inventer un logiciel concurrentiel efficace. Prenons un exemple simple : François Mitterrand a enfanté Jean-Marie Le Pen et Nicolas Sarkozy vient de rapetisser l’invention machiavélique du mitterrandisme. Cette idée est dans le logiciel sarkozyste.

Pour désactiver cette fonction, il faut d’abord rappeler que l’invention en question a énormément servi la droite (désistements réciproques aux légalislatives, gestion commune dans les Conseils régionaux…) avant que les dessins de Plantu, où voletaient les mouches autour de certains responsables de droite, n’entraînent un sursaut moral. Donc la droite est très mal placée pour reprocher à la gauche d’avoir utilisé Le Pen pour assurer la réélection de députés dans des triangulaires bien commodes. Et je ne dédouanne pas ici les margoulins socialistes ou communistes qui ont sablé le champagne en apprenant le résultat du FN.

Je dis que lorsque l’on tient un discours moral, il faut d’abord regarder au fond de sa culotte. Donc, quand on aborde la question essentielle du siphonage des idées d’extrême droite au profit de Nicolas Sarkozy, il faut avoir dans la musette dialectique (l’élection n’est que dialectique) cet argument massu face à une UMP trop sûre d’elle-même. Je l’écris pour les candidats en campagne : « J’aimerai savoir comment vous pouvez affirmer, toute honte bue, que la gauche a enfanté Le Pen, sans la moindre preuve, alors que vous avez scandaleusement profité des bons scores du FN aux législatives et dans les exécutifs régionaux. Dites-moi le contraire, monsieur Machin (oui, l’effectivité dialectique passe par l’emprisonnement de l’adversaire, voir Jaurés et Sarkozy) ».

Le parti socialiste ressemble aujourd’hui à un boxeur talentueux sans punch, courbant l’échine à la moindre difficulté. Chaque uppercut de la droite atteint le minois de la gauche. Reste à savoir sur quels segments de sa politique Nicolas Sarkozy récompensera le retour au bercail des brebis égarés du lepénisme. Qu’attendent-ils ces électeurs ayant rompu le pacte de fidélité solide qui les maintenait depuis longtemps au FN ? Moins d’immigration, plus de sécurité ? L’ancien ministre de l’Intérieur devenu Président a échoué dans ce domaine.

La gauche est donc appelée, pour ces prochains mois, a dénoncé l’illusionnisme sarkozyste tout en expérimentant les premiers éléments du logiciel qui lui a fait si terriblement défaut lors de l’élection présidentielle.

actualite.aol.fr

On la sentait bien venir, cette petite gêne, dans le cadre de l’émission France Europe Express. Christine Ockrent, épouse de Bernard Kouchner, journaliste d’une des émissions les plus conséquentes du paysage audiovisuel français avec celles d’Yves Calvi. Et François Bayrou, dont la diagonale dialectique rappelle celle d’un fou (donc de quelqu’un de raisonnable dans mon esprit) eut ce petit hoquètement hilare qu’il affecte quand il sent que son propos va bousculer le politiquement correct, en s’excusant par avance d’oublier la proximité familiale entre le ministre et son épouse pour tenter une énième clarification entre « ralliement » et « alliance ». Aussi sincères que puissent être les démarcations entre vies privée et professionnelle, Christine Ockrent n’est plus, depuis quelques jours, une journaliste comme les autres.

Chère madame, j’eusse apprécié qu’en début d’émission, les yeux dans les yeux, vous prîtes la parole pour nous livrer les clés d’un contrat de confiance : ici, mon mari est un homme public comme les autres ; quand je ferme la porte de mon domicile, ça devient mon ou notre problème…

Je vous pose donc directement quelques questions auxquelles je suis sûr vous saurez répondre : comprenez-vous que les téléspectateurs de votre excellente émission puissent être légitimement troublés par votre contexte familial ? Pensez-vous pouvoir conserver dans cette situation votre capacité de critique ?

Votre époux, dont la principale qualité est de ne pas se fondre sans moufter dans le conformisme oblitérateur, sera donc souvent sous les feux de l’actualité et les projecteurs se braqueront sur les attractions-répulsions de ses rapports avec un président de la République qui n’est pas conformé comme lui : comment traiterez-vous de ces relations ? Qui le recevra (il est tout de même titulaire d’un porte-feuille cible de votre contenu éditorial) lorsqu’il sera amené à se rendre sur votre plateau ?

Je suis sûr que vous aurez le courage de répondre à ces questions et, dans un élan narcissique pathologique, vous invite à être interviewée sur ce blog sur le sujet.

Amis journalistes, de grâce… Puisque l’air du temps est à la rupture, tentez de perdre aussi cette mauvaise habitude, pratiquée essentiellement par les journalistes de radio, de suivre les personnalités politiques, ministres ou battues, dans leur fief de campagne, en récupérant des commentaires à la con d’imbéciles heureux contents d’avoir touché la main de Sarko, vantant la combativité de Fillon, l’humanité de je ne sais qui d’autres…

Cette badauderie dégoulinante est si attristante qu’elle relève de la non-assistance à personne en danger et je serai bien en colère d’entendre mon père dire que l’élu du coin promu sur le plan national est « sympathique ».

Faites comme Yves Calvi sur France 5 ou Judith Clarigni et Brice Teinturier sur France Culture, deux émissions exemplaires de ce que le service public doit : un cadre, des faits, des analyses, des oppositions…

Sortez de cette idéologie mortifère, enseignée en école de journalisme, que vos auditeurs sont des tâches automobiles surmontées de bobs. Nous y gagnerons tous. L’idolâtrie française n’est qu’une activité touristique, pas politique.

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Monsieur Hirsch, vous voilà Haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. La lutte contre la pauvreté est une urgence. Je vous suppose à gauche. Mais le traitement de la pauvreté ne peut se caler sur les alternatives des temps politiques. Et si vous réussissez dans votre domaine, les pauvres se foutront bien de savoir si le président de la république qui vous aura accordé sa confiance est de gauche ou de droite.

J’ai lu et relu nombreuses de vos analyses et interviews. Je suis convaincu que vous êtes l’homme idoine pour relever ce défi. En attendant que la gauche se refasse une santé, je vous souhaite la plus grande réussite. Si les projets politiques sont de droite ou de gauche, le service de l’Etat n’a pas de frontières.

http://medias.lefigaro.fr

Je me suis servi un fond de whisky. Pas trop. J’ai suçoté un petit cigarillo. Deux inhalations. Fallait être en forme pour ce matin. Christine m’a invité à venir me coucher vite. Je l’ai embrassé tendrement sur le front. Comment dormir ? Je l’ai rassuré. « Je termine le verre ». Elle m’a demandé si j’allais bien. J’ai eu du mal à contenir la formation d’un caillot lacrymal dans la gorge. Un hochement de tête a suffi. Je me suis retrouvé seul. Sans envie. Dans le vague. J’ai allumé la télé mais le visage rond de François Hollande m’a fait sursauter. Je l’ai éteinte aussitôt. Demain (aujourd’hui pour vous), je serai pour une partie de la France un renégat, un mangeur de lentilles, un opportuniste défroqué, un vendu au libéralisme, un crédule…

A mon âgé avancé, les petites convulsions médiatiques me laissent heureusement de marbre. Je suis né socialiste, j’avais envie de sauver la planète ; enfant, je ne supportais pas l’indifférence de mes proches pour les mendiants, la pauvreté m’a toujours indigné. Docteur, j’ai voulu aller au bout du monde pour sauver l’humanité, pour sauver mon âme. J’ai tenu dans mes mains des enfants de douze kilos. J’ai côtoyé la folie humaine, de près, de très près, dans le Biafra, au Kosovo, ce Kosovo de mon cœur où je n’oublierai jamais ce que la lâcheté des nations peut causer dans le regard d’un gosse anémié.

On m’a tellement reproché de choses que je ne sais par où commencer. J’ai égaré la liste. Tout ce que j’ai pu faire n’a pas été parfait mais je ne supporte pas l’idée que les rodomonts de tribune, sagement posés au coin du feu de leur Ardèche ronronnante, viennent me donner la moindre leçon. L’injustice, je l’ai saisie à la gorge, j’ai tout fait pour lui tordre de cou. Oui, c’est vrai, j’habite un endroit cossu. Oui, c’est vrai, j’ai cédé comme nous tous à l’ensorcellement de l’argent. Même l’Abbé Pierre a pêché. C’est dire comme vivre est une grand épreuve, surtout lorsque l’on défend des idées nobles.

Tout au long de ma vie, j’ai appris à me méfier des puretés humaines. L’homme est ambivalent. Tel gauchiste habite un pavillon avec piscine. Tel coco passe ses vacances à Ibiza. Et, lorsque Simone de Beauvoir s’achetait une robe trop chère, pour éprouver le frisson de la coquetterie, elle qui entretenait un rapport si trouble avec la féminité, elle broyait des idées noires tout au long de la journée. Et lorsque Léo Ferré, pierrot lunaire des anars, pourfendeur du capital, se rendit propriétaire de sa maison en Toscane, il bafouillait des explications oiseuses à ses fans troublés. L’argent est notre mauvaise conscience commune.

Camarades, je suis triste de vous abandonner. Le principe de réalité a pris le dessus sur la puissance des convictions. Je suis peut-être mieux armé que d’autres pour fixer droit dans les yeux le diable Sarkozy dont on m’a décrit avec moult détails la vésanie. Mais, quelque part, je retrouve ce matin ma liberté.

Les gens de gauche auront l’honnêteté de reconnaître que travailler avec la droite n’est pas sans saveur : chez eux, on se débat moins avec la moralité, la richesse n’est pas tabou, la réalité a pris le relief simpliste des bas instincts, le monde de Bush est plus manichéen que le nôtre et, dans un monde traversé d’incertitudes, les Français ont besoin de se retrouver autour de principes audibles et concrets. Sarkozy a réussi le tour de force d’occuper le champ que nous n’osions plus amodier, le travail, la fierté d’être Français. Des années plus tard, après avoir enfanté le Front national pour des raisons bassement électoralistes, nous voilà piégés, nous, socialistes, dans l’impasse identitaire d’une France que nous avons volontairement labourée.

Je dis les choses comme je les ressens : la gauche ne retrouvera plus le pouvoir en France avant dix à quinze ans si elle se contente de congrès stériles et d’une refondation dialectique. Alors, de l’endroit où je suis, avec mes maladresses, mes humaines limites, j’essaierai de défendre la cause de ceux qui croient aux combats de la gauche. Car, si je quitte la gauche, elle, elle ne me quittera pas. Si je comprends le trouble légitime des amis que je perds, je n’aurais jamais trop de colère contre ce PS enkysté dans ses querelles picrocholines, bien incapable aujourd’hui de résoudre la complexité des problèmes qui se posent à notre époque.

Oui, je pense que Nicolas Sarkozy est un moindre mal, à l’instant T de l’histoire de notre démocratie. Le monde de Sarko n’est pas le mien. Mais la gauche n’a pas su inventer le sien. Apatride, je deviens un sans papier honnête, mu par la seule volonté de rendre le monde meilleur.

http://tempsreel.nouvelobs.com

Il y a deux manières de juger le ralliement d’un homme de gauche dans un gouvernement de droite et vice-versa : celle qui consiste à dire que la noblesse de la gestion des affaires de l’Etat dépasse le débat politique et qu’une fois passé le temps de la confrontation, seul prime l’intérêt immarcescible de l’Etat ; celle qui refuse cette dichotomie facile entre l’affirmation de ses convictions profondes et l’adaptation à un principe de réalité.

L’air du temps est à la vibration de cette idée que la confrontation politique est d’une improductivité infantilisante et que la modernité se régénère dans une progression au jour le jour dans le maquis des défis à relever. L’infusion de cette idée est une menace pour la richesse du débat politique : elle risque d’amoindrir la recherche, des deux côtés du balancier politique, des expériences couronnées de succès ; elle expose le débat politique à la tentation de la synthèse qui n’est jamais qu’un couvercle chuintant que l’on pose sur de vraies divergences de fond. Elle démonétise enfin le débat politique qui deviendrait ainsi, aux yeux de l’opinion, un lieu d’échanges artificiels, une mascarade ritualisée.

Quelle est la nature de la sarkozyphilie subreptice de Bernard Kouchner lorsque l’on pioche sans mal dans les déclarations qu’il fît et dont la peinture est encore fraîche ? Lorsque le French doctor reprochait il y a dix jours au nouveau président de la République de « pêcher dans les eaux de l’extrême droite », mentait-il, prenait-il les gens de gauche sincères pour des gogos lobotomisés ?

Car il n’aura pas échappé à l’opinion française que le corps doctrinal du programme de Nicolas Sarkozy penche très à droite et que le choix du pays doit être respecté. Je veux choisir mes futurs élus à partir des idées qu’ils défendront en campagne.

La démarche de François Bayrou est différente puisqu’il inscrit dans le marbre de ce nouveau mouvement démocratique le principe d’une variabilité d’approche des différentes mesures à apprécier s’il reste dans l’opposition. Mais qui peut penser en France qu’un élu, de gauche comme de droite, n’agissait jusqu’alors qu’en fonction d’une vision étriquée de la bipolarité politique ? Dans les collectivités territoriales, que la majorité de droite soit de gauche ou de droite, l’immense majorité des délibérations sont adoptées à l’unanimité parce que l’édification d’un collège ou le renforcement d’un dispositif de vigilance auprès des personnes âgées ne peut faire l’objet d’une opposition abêtissante.

Bien entendu, cette sagesse n’est pas reproductible à l’échelle de l’assemblée nationale, créatrice du socle législatif du pays, là où les divergences s’élèvent plus frontalement. Mais, si je vote à gauche, et que cette gauche reste minoritaire, je n’attends pas de « mon » élu une déresponsabilisation devant les choix d’opposant qu’il doit faire. J’attends de lui qu’il lance, à l’échelle de la circonscription qui l’a élue, le débat nécessaire, auprès de la population, pour qu’il puisse voter en homme libre, serein et objectif.

Ce n’est pas parce que le débat crée une saine opposition qu’il empêche le recoupement d’éléments unanimement partagés. Dans une démocratie, l’opposition détient un rôle fondamental, celui de faire vivre l’immense minorité battue aux urnes pour que la vision que cette France porte dans ses tripes ne soit pas écrasée par celle de la France majoritaire. Je crois que les institutions, telles qu’elles existent, autorisent cette dynamique du débat. Et non des ralliements de fins de carrière ou de colère inversée qui s’apparentent plus à des haines bruyamment remâchées qu’à des sursauts moraux salutaires.

Bernard Kouchner a sans doute beaucoup de reproches à faire au PS. J’en partagerai sans doute beaucoup avec lui. Pense-t-il une seule seconde qu’en ralliant le camp qu’il a toujours combattu, il sera plus audible auprès de ceux avec lesquels il a toujours cheminé ? Nous sommes tous ambivalents, tous un peu schzyzos… Mais le choix politique doit toujours se faire dans la clarté, avec des ajustements mais sans revirement brusque.

C’est pour cette raison, Bernard Kouchner, que je suis triste aujourd’hui d’apprendre que vous franchissez le gué. Parce que vous le franchissez du jour au lendemain, sans avoir pris le temps de nous expliquer pourquoi vous le faites. Vous le franchissez dans l’entrebaillement de l’air du temps, par haine pour votre famille d’origine, par vengeance. Je vous souhaite cependant, pour la France, le meilleur succès.

http://www.mjsaquitaine.jeunesse-sports.gouv.fr

Cher ami,

Toi qui vit en Afrique, qui ressent au quotidien les effets du hachoir libéral, qui sait les conséquences crues de l’organisation du commerce international, tu me demandes de te donner mon sentiment sur l’élection présidentielle. Je ne suis pas un expert mais cela tombe plutôt bien : la mode est à la démagogie anti-expertise, l’expertise étant accusée de ne fournir qu’une vision tronquée des faits, in-humaines (j’insiste sur la césure).

Le grand frisson démocratique, de ce côté-là de la Méditerranée, c’est de sonder cette zone grise entre les faits, dont la scientificité est toujours plus remise en cause, et le ressenti d’en bas. L’exercice comporte de grands avantages et de réels risques : à force de nier la réalité (je viens de lire une étude sérieuse attestant que les aides publiques accordées aux entreprises du Cac 40 sont minimes et que les aides en question soutiennent déjà, abondamment, les petites et moyennes entreprises), on se détourne de la nécessité d’œuvrer avec pédagogie envers les citoyens. La nourriture pédagogique est une diététique démocratique : controuver la réalité encourage toutes les transgressions radicales.

La France est un pays habité par une foi révolutionnaire. Elle goûte peu aux discours sur la méritocratie et considère que les laissés-pour-compte ne seront jamais comptables de leur décrochage. Rien à voir avec l’état d’esprit anglo-saxon où les bonnes statistiques économiques masquent généralement les deltas vertigineux entre les revenus des uns ou des autres. La France n’épousera jamais les contours libéraux du marche ou crève bushien. La France ne sera jamais complètement fascinée par le modèle blairiste. Et les quelques décimales de croissance que nous perdons dans les confrontations dialectiques sur le modèle social s’arriment à ce patrimoine révolutionnaire : en France, le discours sur les inégalités ne fait jamais l’objet d’un solde pour tout compte.

De loin, ce pays peut paraître ployer sous de pondéreux paradoxes. Il dit non au référendum et s’apprête à élire pour le candidat le plus libéral sur la gamme des propositions d’avenir. A l’analyse, cette attitude relève de la logique : Sarkozy a instillé un peu de bushisme protectionniste dans son propos. Lorsqu’il indique que la Slovénie a purement et simplement supprimé l’impôt sur les sociétés (la Slovénie est un des 27 membres de l’Union européenne), il précise que Bruxelles n’est plus crédible pour venir lui chercher des poux dans sa volonté de disposer d’une certaine latitude fiscale (notamment sur la réduction de la TVA à 5,5 % sur les métiers de la restauration et de l’hôtellerie).

Bref, ce libéralisme qui effraie tant la France de gauche conserve une liaison forte avec la France qui se lève tôt, en flattant sa valeur et en laissant supposer que l’autre France, qui se couche tard, est irresponsable. Dans chaque corpus idéologique, il y a une petite porte d’entrée pour chacun. Mais ici, chaque débat est à examiner sous toutes les coutures. En tant que journaliste, j’ai eu le plaisir de discuter avec Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Il y a quelques semaines, ce dernier redoutait que la campagne électorale hexagonale ne tourne à la stigmatisation des assistés.

Le phénomène ne s’est pas produit, fort heureusement. Car, là aussi, la réalité n’est pas aussi simpliste que le débat aimerait le poser : les resquilleurs de l’Etat providence ne sont pas aussi nombreux que le café de commerce ne l’atteste… Pourquoi ? Parce que les Rmistes, pour ne prendre qu’eux, sont à 80 % demandeurs d’une activité professionnelle, même si cette dernière ne leur permet d’atteindre le même niveau de « rémunération artificielle » que celui atteint par les nombreuses aides publiques.

La France est un pays extraordinaire de 64 millions d’habitants qui croit romantiquement aux vertus du consensus. Ce dépassement consensuel est porté par François Bayrou. La culture de la confrontation idéologique a enkysté le pays. Il lui manque de l’huile entre les rouages. On peut multiplier les exemples. Deux mondes se haïssent profondément : celui de la formation professionnelle et de l’éducation nationale. Le premier loue la recherche d’une plus juste adéquation entre les besoins du monde du travail et les formations adaptées ; l’autre considère que cet adéquationnisme comporte des risques de pervertissement (le temps de la mise en place de la dite adéquation étant trop long par rapport aux mutations réclamées par le monde du travail).

Dans ce contexte est apparu un ovni : Ségolène Royal. Gagnera-t-elle ? Les sondages disent que non. Mais cette femme étonnante, accusée de tous les maux, parfois maladroite, a un réel don intuitif. En l’espace de deux ans (2005-2007), elle a ringardisé le Parti socialiste, lieu de synthèses improbables, où la mauvaise foi la dispute à l’irréalisme mal feint. Tous les sondages, qualitatifs ou quantitatifs, la placent généralement derrière Nicolas Sarkozy, animal politique, déroulant des argumentaires fortement empathiques.

Que dit-elle ? La France a des ressources, la France est en quête d’équilibres, la France a besoin d’apaisement. Tout le monde gagnera (donnant-donnant) et si un seul groupe social perd, c’est tout le monde qui sera entraîné vers le bas. Un joyau harmonique que Sarkozy n’a pas encore perçu et qui risque de lui péter à la gueule (mille excuses pour l’expression triviale) au soir de son débat avec Ségolène.

Nicolas Sarkozy souffre d’un complexe de supériorité : il ne doute pas, c’est ce qui fait sa force. Mais cette trop belle assurance est anxiogène. Pis encore : elle le déshumanise. Sa force de frappe dialectique emprunte au détail (la petite fille du gendarme tué qui lui demande de sortir son papa de la boîte, fait éminemment triste, dont il laisse entendre qu’avec lui, ministre de l’Intérieur au moment où le gendarme en question est scandaleusement entré dans la boîte, il n’y aura plus de moments de tristesse aussi forts). C’est l’art du sophisme : tirer toujours profit des situations les plus périlleuses, ne jamais céder à l’autocritique, laisser toujours entendre que ce que l’on a fait échappe à ce que l’on est.

Enfin, sommet de la démarche sophistique, décrédibiliser l’adversaire, aller chercher la contradiction, la mettre en scène avec d’autant plus de facilité que l’on a réussi, dans l’esprit des gens, à s’exonérer d’un bilan que l’on a construit. « Rupture », dit Sarkozy. « Rupture » avec lui-même. Mais « rupture » sans autocritique, donc profonde et inquiétante pathologie mentale. Oui, je le concède, par honnêteté intellectuelle, il y a une fureur de diabolisation dans le camp d’en face. Mais Sarkozy gère mal cette entreprise. Il la nie, paraît plus clair dans la formulation d’éléments de programme, mais il ne peut se sortir des griffes de la contradiction sans griffer plus fort encore. Il ne refuse jamais le combat à mains nues. Il aime saigner et faire saigner. Il aime la bagarre.

Et au final, malgré lui, le verdict du deuxième tour se jouera sur un élément qu’il ne soupçonnait pas aussi prégnant : l’humanité de la future présidence de la République. La part de caricature que l’on brosse de lui, excessive comme toutes les caricatures, il y rentre dedans, comme un éléphant, si j’ose dire, dans un magasin de porcelaine.

Ségolène Royal aussi est caricaturée : incompétente, manque de carrure… Mais dans cette guerre des défauts, que choisiront les Français ? Le doute ou la certitude, le risque ou l’assurance, le participatif ou l’unilatéralité ? Ainsi va la France : elle préfèrera toujours les défauts de l’humanité aux certitudes du libéralisme ; elle voudra toujours croire à un monde meilleur qu’à un monde adapté aux circonstances d’une globalisation qu’elle ne supporte pas de maîtriser ; elle ne comprendra jamais les 8 millions d’euros de Forgeard, les nouvelles règles économiques ; elle sera toujours moquée pour sa balourdise économique et elle accompagnera toujours ses enfants dans le délicieux TGV qui les mènera au-delà des mers, vers ce Londres boursier décomplexé, vers les paradis fiscaux éhontés, vers l’Amérique où les gagnants le méritent et les pauvres n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes.

La France n’a pas inventé par hasard la Révolution. Elle ne se satisfera jamais du monde comme il va. Elle s’indignera toujours face à l’indignité humaine. On dit qu’elle râle ; elle est lucide. On se moque d’elle parce qu’elle croit aux utopies concrètes. Elle ne se satisfait jamais d’échouer. Quand elle gagne, elle veut gagner pour tous. C’est une rêveuse, dans un monde sans pitié pour les rêveurs. Vieux pays, interpellé de toutes parts par ceux qui ont cru en lui.

Voilà, cher ami, ma vision de cette France. En fait, cette France n’ose pas dire à quel point elle s’aime. Parce qu’elle est multiple. Parce que le sentiment amoureux est complexe. Haine et répulsion. Après avoir dit non à la soumission du pays, De Gaulle traitait les Français de « veaux ». Il a risqué sa vie pour un pays de « veaux ». C’est ça la France, cher ami, une épopée romantique…

Depuis que j’ai obtenu la brillantissime note de 3 sur 20 en math au bac (il est vrai littéraire), je ne me hasarde plus aux projections arithmétiques. Mais une légère incongruité comptable me dérange : à écouter les estimations de report de voix venues de tous les battus du premier tour, le boulevard chiffré annoncé à Sarkozy ne me paraît pas aussi largement ouvert. Et sur mon boulier personnel, le score pressenti s’apparente plutôt au 51-49 annoncé par un institut qu’aux 54-46 martelés par les autres.

Je crois que le coeur de l’électorat de Bayrou penche plus fortement qu’on ne le croit à gauche. Dans le cas contraire, le Béarnais n’aurait pas obtenu un score aussi élevé. Ce qui est étonnant dans cette élection, c’est le rejet de plus en plus fort que provoque Nicolas Sarkozy, pourtant archi-favori. Une seule question se pose donc : aurait-il fait le plein dès le 22 avril ? Aurait-il gonflé au maximum la voilure de l’UMP ? A-t-il finalement moins de réserve qu’il ne l’imagine ?

Je désespère de croiser des personnes raisonnablement rassurées par le succès incontestable de Sarkozy, ces 11 millions d’électeurs qui doivent fourmiller dans les villes ? Où sont-ils ? Où se cachent-ils ? Allez, je mouille le doigt : je pense que si Sarkozy l’emporte, ce sera d’une courte tête…

Je pense que les zélateurs bayrouistes en ont marre des coups de menton comminatoires des portes-flingues de l’UMP qui intimident dans les régions les petits députés UDF ? Je pense que le seul moyen d’atteindre l’Elysée pour Bayrou aujourd’hui est de se démarquer rageusement d’un Sarkozy qui ne lui ressemble pas ! Je pense qu’il y a plus de points communs entre Bayrou et Royal, sur fond d’un delorisme enfin surplombant.

Je pense que la France a sa petite idée en tête. Le soir du premier tour, en sortant fumer une cigarette, je me suis donné une entorse de la cheville droite. Je m’appuie aujourd’hui sur la gauche. Un signe ? Tous mes potes m’ont dit : « c’est plié ! ».

Tous mes potes ont trouvé l’intervention de Melle de Ségolène un peu molle. Tout le monde a trouvé Sarko très pro. Tout le monde est allé chercher un sac plastique pour vomir en apercevant les factotum de France 2 lui tendre le micro dans sa belle bagnole.

Il y a comme une grande partie de la France qui ne veut pas de Sarko. Qui s’inquiète de ce profil instable, de cette animalité politique, de sa réthorique mensongère, de ses colères, de ses frustrations.

Il y a comme une grande partie de la France qui a très peur de lui confier les clés de la maison France pour cinq ans. Ressentez-vous cette peur ? Ce scepticisme ? Cette crainte indicible ?

Nicolas Sarkozy serait-il le Garincha du politique ? Cette ancienne étoile du football brésilien avait l’habitude de dérouter ses adversaires par ses dribbles chaloupés. Et le président de la République semble lui avoir emprunté cette vista. Car le paysage politique français d’aujourd’hui présente un air étrange, presque surréelle. Et, connaissant mon Sarko sur le bout des doigts, je suis sûr que le festival ne fait que commencer. Bien sûr, nous ne sommes qu’au début du quinquennat, avec ce doux air euphorique légèrement trompeur. Mais je crois qu’une nouvelle époque s’annonce, que l’on pourrait nommer la diversité assumée, mais l’expression ne me plaît guère.

Je ne sais pas si le président a déjà commenté la réaction de Martin Hirsh au sujet de la franchise sur le remboursement des premiers soins. Martin Hirsh avait très fermement condamné cette initiative. Aujourd’hui, il confirme. Martin Hirsh ne rêve pas de prébendes. Ne fait pas de la politique pour l’alimentaire. Il veut aboutir à la mise en place révolutionnaire du Revenu de Solidarité Active, qui consistera à ce que chaque reprise d’emploi se solde par un surplus salarial pour les personnes confrontées aux minima sociaux. Il est allé voir Sarkozy. Et ce dernier lui a dit : « OK, on n’y va, on le fait ». Quand un journaliste courageux demandera au président ce qu’il pense de la réaction de Hirsh à la franchise médicale, le président dira à peu près la chose suivante : « Vous savez, Martin Hirsh est un homme remarquable. Je souhaite qu’il réussisse dans son action et je lui donnerai tous les moyens pour qu’il y parvienne. C’est un homme indépendant et je respecte ses convictions personnelles.

Au nom de quoi (ah, les fameux « au nom de quoi » de Sarko) le fait qu’un homme de gauche soit en désaccord sur certains points avec mon action m’empêcherait de trouver avec lui d’autres terrains d’entente ? Je vous le dis, Monsieur Hirsh ne sera pas déçu de son passage dans le gouvernement de François Fillon ». Je l’imite bien, hein ?

Amis de gauche, orphelins d’une gauche moderne, nous qui avons brocardé pendant des années « la droite la plus nulle du monde », pour ne pas dire autre chose, nous voilà confrontés aux mêmes reproches… Parce que l’ensorcellement sarkozyste touche tout le monde : j’écoutais Bernard Marris à Ripostes hier soir, économiste de renom, l’un des rares alter mondialistes qui ne ferait pas fuir un patron cinq minutes après le début de la conversation, face à Alain Juppé, ministre d’Etat. Hallucinant ! ! ! ! Il y avait une complicité ubuesque entre les deux hommes ! Comme si l’inconscient collectif de gauche trouvait dans une droite décomplexée des raisons de fascination. Et le rôle du vrai contradicteur revenait au chafouin Eric Zemmour, journaliste au… Figaro, et dont les interventions sont toujours pertinentes.

Et on peut multiplier les exemples : j’aurais aimé être une mouche pour voir la tête des responsables des associations environnementales à la réunion de préparation du Grenelle sur le sujet ! Rien, même pas une critique un peu poussive d’un vieux porte-parole maniant la langue de bois en ébéniste expert ! Ah si, j’exagère : il y a eu la réaction des Verts, accusant « le Grenelle de dupes ». Wouah, génial les gars, l’espoir renaît.

Et Emmanuelle Mignon, la directrice de cabinet du Président, qui tente au quotidien de débaucher les membres de la République des Idées, en leur faisant passer ce message : « Le Président ne pose aucune conditions à vos ralliements. Vos idées seront mises en œuvre ». On dirait le pays de Oui-Oui ou l’Ile aux Enfants de ma jeunesse.

Ouuuuuuuuuu la gauche ! Ouuuuuu… où es-tu ? Un ami me disait récemment qu’il ne comprenait pas la royalphilie, qu’il considérait Ségolène Royal comme la plus mauvaise candidate du PS depuis 1969 et les 5 % de Gaston Defferre !

Cher ami, je vais te dire pourquoi j’ai autant aimé Ségolène Royal et que je l’aime peut-être plus encore aujourd’hui : je me demande comment elle a pu mener une telle campagne dans un tel état de désolation programmatique, dans un tel état d’impéritie du PS. Depuis le lendemain du deuxième tour, c’est courage fuyons à tous les étages ! On annone de grandes théories sur la fin du cycle d’Epinay dont la France entière se fout (c’est où Epinay, c’est quoi ?). Pas un seul responsable courageux du PS qui se lève et qui dise : on va dans le mur, à toute allure et on mettra dix ans pour récupérer du crash. Mais qu’importe les gars, hein ? Sarko recrute essentiellement à gauche, à l’américaine, il pique les cerveaux que vous avez laisser pourrir dans vos concélébrations congressistes avec des macchabées de luxe : Michel Rocard, Jacques Delors, Olivier Duhamel… Trop has been, les grands hommes, trop honteusement sociaux-démocrates !

Finalement, le seul qui me fasse sourire aujourd’hui, c’est François Bayrou et ses acrobaties sidérantes et intenables sur ses 7 millions de fans qui vont fondre au soleil de la dure réalité de nos institutions. Cruelles institutions mais justes institutions car personne ne veut d’un retour à la IVè République et à ses majorités ingouvernables et inconsistantes ! S’il existe un vrai refondateur au PS, qu’il se lève et qu’il marche. Il ne risquera rien puisque le Parti socialiste n’est plus qu’une armée à la dérive.

Moi, je ne suis rien, qu’un dispensateur d’énervements, mais j’en ai marre de voir la droite récupérer un Martin Hirsh dont le seul rêve était de venir en aide aux pauvres dans un gouvernement de gauche. Mais la route est bouchée de ce côté-là. Il a pris l’itinéraire bis. Les bénéficiaires potentiels des solidarités actives qu’il aura su mettre en place ne lui en voudront pas.

Je n’aime pas les anti-quelque chose. Un vieux reste sans doute d’éducation chrétienne qui tendrait à me persuader, face à chacun de mes semblables, même dans les situations les plus répugnantes, que chacun d’entre eux est prédisposé à la philia, l’amour de l’autre.

J’ai souvent été contredit par mes apriorismes, mes dégoûts intuitifs. Face à l’homme, il faut toujours travailler à éviter de révéler le pire de sa personnalité. Je n’ai goûté que très modérément le numéro de Marianne sur le dévoilement « scoopétique » de la personnalité de Sarkozy.

Journaliste, je n’aime pas ces journaux qui se laissent déborder par le style, où les menues infos sont montées en neige et retombent quand la trépidation rhétorique s’éloigne. Je n’achèterai pas plus Charlie Hebdo car l’outrance satyrique m’empêche de goûter à la saveur de la recherche de la vérité.

Je n’étais pas un anti-sarkozyste primaire. Après la lecture du portrait de Nicolas Sarkozy par Michel Onfray, dans son blog de L’Obs, je le suis devenu, aussi naturellement que l’on se rafraîchit la bouche d’une gomme de menthol après avoir vomi. Ce que dit Onfray des conditions dans lesquelles Sarkozy a tenté de l’intimider avant son entretien dans la revue Philosophie magazine où le masque de l’homme est tombé est tout simplement stupéfiant.

Que les ego surissent dans les sphères surdimensionnées du moi, que l’autosatisfaction abcède lorsque, tous les jours, autour de vous, des carpettes vous cirent le bon profil, qu’une dangereuse mythomanie vous gagne lorsque l’on vous convainc que vous avez été choisi pour accomplir une mission christique n’est pas une révélation monstrueuse sur le détachement pathologique qu’affichent ceux qui prétendent à la plus haute fonction de l’Etat.

Etre l’opérateur d’un Tout lorsque l’on n’est rien d’autre qu’un homme, vouloir sans pouvoir, peut déformer le sens de la réalité. Mais ce qui est plus inquiétant chez Sarkozy, ce n’est pas tant le marmitage d’humiliations qu’il déploie face à ceux qui le contredisent, qui ne comprennent pas l’impérieuse divinité de sa mission, mais sa souffrance. L’homme souffre à l’évidence d’un complexe de supériorité dont il ne tire au final qu’un bénéfice très limité.

Sarkozy a un défaut majeur en politique : sa vision binaire du monde. Pour lui, il y a le blanc et le noir, le Bien et le Mal et tout le reste, c’est-à-dire la majorité, n’est que l’espace de confrontations stériles des experts qui essaient de dénouer l’écheveau de ce qui dysfonctionne. Pour lui, la règle s’impose à tous et lorsqu’elle est foulée au pied, l’auteur du dérapage doit être sévèrement puni. Dans sa tête, le monde serait naturellement lumineux, les chômeurs seraient naturellement fainéants, les délinquants naturellement mauvais et s’il avait eu Jean-Jacques Rousseau en face de lui, il l’aurait laminé d’acidités.

Souffrirait-il de la sauvagerie de celui qui s’est construit seul et qui ne comprend pas que les autres n’aient pu le suivre ? Pour lui, Jaurès n’est pas ce grand homme politique qui accusa d’un doigt pointeur les dérives d’une économie inhumaine mais l’homme de l’autorité morale, supérieure, du travail. Il doit sincèrement aimer l’ouvrier qui ne rechigne pas à la tâche ; l’ouvrier rendu muet par l’hystérisation de ces conditions de travail, l’ouvrier abruti par les luttes sans relâche qu’il mène pour surmonter l’accroissement de l’insécurité des parcours professionnels.

Pour lui, la seule vertu, c’est celle de la plainte contenue, de la morale de l’écrasement, du rapetissement, du bonheur subi (ce qui est contradictoire) et non choisi. Sarkozy exècre la gauche parce qu’elle rappelle les évidences qu’il se refuse de voir : la lobotomisation induite par les nouvelles règles de production économique, prisonnière de flux, esclave du temps, sommée sans cesse de se transformer pour appréhender un tant soi l’imprévisibilité de l’horizon du marché.

Pour Sarkozy, se plaindre, c’est faillir moralement. Pour Sarkozy, se suicider, c’est un peu de sa faute, pas celle d’une société qui marche la tête haute pour que les entreprises n’aient pas à se préoccuper des futilités exprimées par le vulgum pecus. Ce qu’a vu Onfray est « glaçant », pour reprendre l’expression de François Bayrou. Il a vu un homme en souffrance, à la culture parcellaire, annôneur de fiches, authentique lorsqu’il dit sa propre souffrance, qu’il a surmonté à grandes louchées d’hyperactivisme pour prendre une revanche sur les humiliations qu’il a subies et dont il ne perçoit plus, très étonnamment, la contemporanéité.

Oui, Sarkozy avance le Kärsher au poing pour laver la France de l’honneur d’essayer de comprendre encore et toujours pourquoi les évidences sont toujours trompeuses. Dans le monde idéal de Sarkozy, il n’y a que sa propre souffrance qui mérite d’être respectée.

A l’approche de l’élection présidentielle, les peurs françaises se précisent. Peur d’une rupture trop cassante avec Nicolas Sarkozy. Après avoir dragué les eaux de gauche (Blum, Jaurés, etc.), le candidat de l’UMP recentre sa stratégie sur le cœur de cible naturel de la droite française : la patrie, la lutte contre tous les désordres, la guerre faite aux fauteurs de troubles, inexcusables, le martèlement de la valeur travail, laissant supposer que ceux qui ne travaillent pas ne le veulent pas, qu’ils s’arrangent avec l’assistanat.

Le but inavouable de Sarkozy est d’ignorer les causes des maux ou de les minorer. Les assistés sont dans l’œil du viseur, les marginaux doivent rendre des comptes, les délinquants ne doivent recevoir qu’une réponse répressive de l’Etat…

Peur d’une inadaptation congénitale du discours de Ségolène Royal. Après un démarrage en fanfare, ébréchant un à un les tabous d’une gauche empoussiérée, la candidate PS aurait mis en sourdine sa volonté initiale de transformer la gauche de l’intérieur en créant simultanément un élan humain mais autoritaire, une France juste mais attentive aux plaies d’un libéralisme nécessaire provoquant cependant de la casse dans les couches sociales les moins préparées à sa force tsunamigénique.

Peur du pari osé d’un François Bayrou visant l’épanouissement d’un centre pour une thérapie équilibrée d’un pays fragmenté, en plein doute sur ses possibilités de rebondissement. A l’échelle de Richter de la prise de risque, François Bayrou est sans doute le plus actif mais il ne peut se débarrasser du jour au lendemain de l’instinct stratégique qui habite les démarches les plus audacieuses. En fin historien des mouvements politiques, il sait que les tenants des refondations ont mordu la poussière dans des aventures les propulsant dans l’anonymat des désidéologisations avortées. Peur, donc, ici encore, d’une impasse, d’une aventure sans lendemain, d’un rêve au réveil trop brutal.

Peur enfin de Jean-Marie Le Pen. Quelques indices auraient du nous alerter, comme ces études sérieuses attestant que les Français ont de moins en moins de scrupules à se dire racistes ou encore celle du Bureau international du travail montrant que la discrimination à l’embauche à partir de la couleur de la peau ou des caractéristiques typées des noms propres se renforce. Le Pen a détabouïsé le racisme ordinaire. Pour faire reculer la lepénisation des esprits, il eut fallu que la future ex-présidence entraîne la France vers un meilleur respect de ses diversités, cette France qui n’est pas seulement en bleu-blanc-rouge (la voir ainsi relève d’une pathologie daltonienne).

Cette campagne confronte finalement la France, très intéressée par la qualité des débats, à deux phénomènes : l’hésitation et le pragmatisme. Hésitation quant au choix de l’avenir. Pragmatisme affiché pour un choix authentique qu’elle sera amenée à faire : l’enfermement ou l’ouverture, le statut quo ou la réforme, rapide, nerveuse, tourneboulante.

Si Le Pen est encore au deuxième tour, il faudra cesser de faire de la politique comme avant. Parce que Marine Le Pen sera encore plus efficiente dans la stratégie de normalisation du FN que son père. Alors, cette France qui ploie mais ne craque pas, cette France bourrée de vitamines associatives, de créativités humaines mais qui ne sait à quel saint se vouer, dans quel état sera-t-elle au lendemain du 5 mai, après une énième crise de nerfs ? Qui sera le plus légitime pour lui administrer le traitement qu’elle attend depuis plusieurs années ? Qui lui permettra de sortir de la nasse de son « iréformabilité » ?

Crispée, atteinte d’un syndrôme obsidionnal lourd, la France patauge-t-elle aujourd’hui dans un climat pré-insurrectionnel, qu’une simple étincelle pourrait faire flamber, avec les conséquences dramatiques que l’on imagine ? La France sera-t-elle le premier pays riche de l’amorce d’une Révolution qui se répandra à la vitesse du TGV ? C’est cette France des peurs qui se présente devant l’isoloir les 22 avril et 5 mai prochains et, franchement, honnêtement, personne ne peut prédire aujourd’hui ce qu’il en sortira…

Le quotidien La Provence réalise un entretien avec Bernard Tapie ce jour juste avant le match VA-OM de samedi soir. Et ce que dit Tapie est stupéfiant !

Le journaliste Laurent Blanchard lui demande s’il pense encore à l’affaire. « J’y pense toujours. Pour moi, cette affaire sera terminée le jour où Jean-Pierre Bernès (NDLR, l’ancien proche de Tapie à l’OM) voudra bien dire ce qui s’est vraiment passé en mai 1993. Aujourd’hui, je ne lui en veux pas plus que ça, alors que nous étions tellement proche à l’époque ! C’est la vie. D’ailleurs, j’ai un de mes meilleurs amis, que je soutiens politiquement (Jean-Louis Borloo, ndlr), qui sait parfaitement lui aussi ce qui s’est réellement passé, mais il n’a jamais eu envie de le dire. Je ne lui ai de toute façon jamais demandé. J’espère seulement qu’il le fera, un jour ». Ouf !

1. Tapie a vraiment de drôles d’amis qui préfèrent l’envoyer huit mois fermes en prison plutôt que de lui venir en aide en révélant la vérité !

2. Si vous croisez Borloo, ce serait sympa de lui demander « ce qui s’est réellement passé ».

3. Si Borloo dit « ce qui s’est réellement passé », l’enquête sera-t-elle réouverte ? Tapie a-t-il ainsi sacrifié sa grande carrière politique à cause de deux amis qui l’ont lâché ?

4. L’un des premiers ministrables de Sarko s’amuserait-il à cacher des infos qui pourraient servir la justice ?

Je savais qu’en se débarrassant de Tapie, la gauche se porterait mieux (enfin, façon de parler). A Sarko de se dépatouiller avec notre Nanard national ?

Ainsi donc, Nicolas Sarkozy s’en va tranquillement vers son sacre. L’animal politique qu’il est, dévoreur d’études d’opinion, a tout à fait intégré que les polémiques qu’il suscite sur les valeurs morales (bric-à-brac sur les prédestinations génétiques de catégories sociales qui vont subir de nouvelles stigmatisations), la manière extraordinaire avec laquelle il a toréé sur le thème de l’insécurité, où les Français, déboussolés, complètement à la dérive, jugent que la situation s’est dégradée avec le ministre de l’Intérieur Sarkozy mais pense que le candidat Sarkozy sera certainement plus efficace que le ministre…

Bref, on nage dans l’iréel, l’ubuesque et Sarko le sait, avec cet aplomb fou qui lui permet de prendre toujours à contre-pied les questions un peu molles qu’on lui pose, sortant toujours une statistique contraire à la statistique officielle, comme les magiciens, jamais pris au dépourvu… L’homme est incassable. Il manie l’art sophistiqué avec une vista incroyable. Tout va mal mais ce n’est pas de sa faute, lui qui a participé au gouvernement Raffarin, puis De Villepin. On l’a empêché sans doute d’agir, le pôvre garçon, tout penaud. Sarko est un félin, il retombe sur ses pattes, il sort gagnant de toutes les rixes qu’il déclenche, il traite ses ennemis de « connard » et il pense qu’ils le sont tous.

Oui, c’était une bataille qu’il eut fallu gagner à mains nues. Royal aura essayé. Mais le poids des tabous à gauche, la coupable fascination des enseignants pour la danse du ventre de Bayrou, l’impossibilité de dire, simplement dire, « nous sommes un parti social-démocrate », la crainte sidérante de la gauche de la gauche, celle qui se contente de maudire et médire, qui n’a rien essayé de construire, qui n’a pas essayé de tendre une main, une petite mimine, au PS, cette extrême gauche qui sablera le champagne le soir de la victoire de Sarko, ravie sans doute de voir l’horizon du troisième tour social inutile s’ouvrir, embourber la dynamique du pays pour des mois, des années…

Ah, le grand air du grand soir, les pizzas parties au siège de la LCR à réinventer un monde qui ne viendra jamais, et le 1er mai, hein Jo, t’es là, hein, on se fait une bouffe, OK… Une seule interrogation me taraude : comment se fait-il qu’autant de personnes autour de moi ne souhaitent pas voir Sarko prendre les destinées altantistes de la France et qu’autant de personnes au final lui préparent un joli sacre ?

Je dois vivre dans un autre monde, c’est possible. Je prends mon métro, je bosse, je mène une vie banale mais je dois traverser, malgré moi, des ilôts protégés d’une France salement fragmentée, défiante, angoissée, dépressive. Tiens, y’a Schivardi qui passe à la télé. Au moins, lui, il me tire un sourire. J’ai même le sentiment qu’il fait rire Gluckstein, ce qui est une performance. Allez, chers amis d’un monde fou, bonne soirée, y’a un Stephen Frears sur Arte, tout n’est pas si moche dans la future France de Sarko…